Sale temps sur Facebook

Publié le par Jean-Etienne ZEN

Mr Zuckerberg aurait bien du souci...

                        Après avoir déjà été auditionné par un groupe de parlementaires dans son pays, il pensait en être quitte avec les ennuis concernant surtout les modes de gestion de sa plate-forme "démocratique" hautement rentable. On ne parle pas des ratés techniques récents à l'échelle mondiale, ce qui n'est que de la cuisine techchnique interne hautement complexe.     On veut évoquer les contestations qui montent en externe comme en interne depuis quelques années, contre les ambitions mégalomanes du "patron", la direction d'une plate-forme devenue le plus souvent incontrôlable, ses prétentions libertaires qui masquent mal les visées spéculatives.          Le roi de la Silicon Valley ne maîtrise plus son méga-système de plus en plus contesté, même par certains Etats, qui parlent de démanteler un empire trop puissant et parfois toxique. "Faire l'opinion" ne peut être confié à un système devenu incontrôlable, qui n'a pas le ligne éditoriale, qui s'en glorifie et qui laisse parfois les pires opinions (et leurs conséquences) gagner du terrain à vitesse "grand V". C'est toutes les plate-formes du même type qui seraient visées. Les Gafas seraient-elles sur la voie d'une prise de contrôle, qui reste à inventer? Car les enjeux ne sont pas seulement privés. Les critiques s'accumulent, contre un système qui ne sur-amplifie pas que les bonnes informations ou les bavardages anodins.

 

 

          __Point de vue:   Le temps des tempêtes semble venu pour Facebook. Disons-le tout net : le nouveau scandale qui frappe la sixième capitalisation boursière mondiale de plein fouet, appelé les "Facebook files", est possiblement le plus dévastateur à ce jour pour l'empire des réseaux sociaux de Mark Zuckerberg. Après l'enquête du Wall Street Journal publiée le mois dernier, ces révélations explosives ont été confirmées, dimanche soir, par la lanceuse d'alerte elle-même, Frances Haugen.         Dans une interview donnée à l'émission 60 Minutes (voir plus bas), la data scientist de 37 ans est sortie de son anonymat. En tout, l'ancienne employée -de mi 2019 à mi-2021- a fait fuiter des dizaines de milliers de pages de rapports internes. Non seulement au Wall Street Journal, mais aussi aux régulateurs américains. Signe que les ennuis ne font que commencer pour Facebook, elle a également déposé plainte auprès de la Securities & Exchange Commission (SEC), c'est-à-dire l'autorité de contrôle des marchés financiers, parce que ces documents montrent selon elle que Facebook a menti à ses investisseurs. Les régulateurs ne semblent pas non plus beaucoup apprécier ces révélations : le Sénat américain, déjà très critique envers les GAFA, a auditionné Frances Haugen ce mardi 5 octobre. Et la lanceuse d'alerte sera également reçue par la Commission européenne en novembre...."   


                                                                   

 

 ___ Le système est partiellement mis à nu:  La lanceuse d’alerte Frances Haugen a livré, mardi 5 octobre, un réquisitoire implacable contre Facebook lors d’une audition devant le Sénat américain, point d’orgue d’une opération savamment organisée depuis plusieurs semaines et dévastatrice pour la société de Mark Zuckerberg.« Les choix faits à l’intérieur de Facebook sont désastreux pour nos enfants, pour notre sécurité publique, pour notre vie privée et pour notre démocratie », a notamment asséné l’ancienne employée de Facebook qui, durant deux ans, a travaillé au sein de l’équipe « Civic Integrity » qui s’occupait de la lutte contre les « fake news » (ou infox).Durant plusieurs heures, Frances Haugen a détaillé devant des sénateurs, en grande partie conquis, les révélations tirées des milliers de documents qu’elle a déjà commencé à rendre publics depuis plusieurs semaines, plongeant Facebook dans la crise sans doute la plus grave que le réseau social ait connue    Cette opération de communication inédite a débuté le lundi 13 septembre par la publication d’un premier article de la série « Facebook Files » dans le Wall Street Journal, principal récipiendaire des documents. Celui-ci révélait que, dans le cadre d’un programme baptisé « XCheck », ou « Cross check », Facebook a « white-listé » plusieurs millions d’utilisateurs « VIP » : célébrités, politiques et journalistes.    Ces privilégiés ne sont pas soumis aux mêmes règles de modération et peuvent se permettre de tenir des propos ou de poster des contenus enfreignant les règles du réseau social. C’est au titre de ce programme que Facebook a toléré que le footballeur brésilien Neymar publie sur son compte, suivi par des dizaines de millions de personnes, une photo dénudée d’une femme l’accusant de viol, même si le cliché fut finalement retiré par la suite.    Dès le lendemain, le quotidien publiait une deuxième enquête montrant que, contrairement à ce qu’avait pu affirmer son président Mark Zuckerberg, Facebook avait bien conscience des effets néfastes sur la jeunesse du réseau social Instagram, dont il est propriétaire. Plusieurs documents internes révèlent que des chercheurs travaillant pour la société ont alerté, à plusieurs reprises, sur les risques que fait peser lnstagram sur la santé mentale des jeunes, et principalement des adolescentes.       « 22 % des adolescentes disent que lorsqu’elles se sont senties mal en raison de leur corps, Instagram les a fait se sentir encore pire », préviennent-ils dans un message interne diffusé en mars 2020. « Les adolescents reprochent à Instagram les hausses de taux de dépression et d’anxiété », affirme une présentation de résultats de recherches faites en 2019. « Cette réaction était spontanée et cohérente à travers tous les groupes » étudiés par les chercheurs. Un autre document interne explique que parmi les adolescents interrogés ayant déclaré avoir eu des pensées suicidaires, 16 % des usagers britanniques et 6 % des usagers américains liaient celles-ci à Instagram.    Mercredi 15 septembre, de nouveaux documents montrent que Facebook avait été alerté sur les effets pervers d’une modification de son algorithme intervenue en 2018. Celle-ci avait officiellement pour but d’améliorer les relations entre utilisateurs de Facebook en privilégiant le partage de contenus entre amis ou parents plutôt que la diffusion de contenus professionnels.         Mais, en réalité, ces changements ont eu l’effet inverse. Le nouvel algorithme a fortement favorisé, dans les « news feed », les « interactions sociales significatives » (« meaningful social interactions » ou MSI en anglais) les plus clivantes et mis en avant les contenus suscitant les réactions les plus violentes.        Facebook a même été alerté par l’un de ses clients, particulièrement sensible à ces questions : Buzzfeed, un site d’information gratuit dont l’audience repose en grande partie sur la diffusion de ses contenus sur les réseaux sociaux. À l’automne 2018, son directeur, Jonah Peretti, a écrit à Facebook, expliquant avoir constaté des changements notables dans les types d’article faisant le plus d’audience. Il cite le cas d’un article intitulé « 21 choses que tous les mecs blancs sont coupables de dire » ayant suscité 13 000 partages et 16 000 commentaires, en grande partie agressifs. Parallèlement, Buzzfeed avait des difficultés à faire circuler des articles sur d’autres thématiques, comme les animaux.          Des recherches menées en interne ont confirmé le problème. « La désinformation, la toxicité et les contenus violents prévalent démesurément dans le partage », écrivaient des chercheurs dans un mémo. « Notre approche a eu des effets collatéraux malsains pour des parties importantes des contenus publics, comme la politique et les informations », alertaient dans un autre document des « data scientists » de Facebook.     Le jeudi 16 septembre, Facebook était également accusé de laxisme dans le contrôle des contenus dans les pays en voie de développement, l’une des principales sources de revenus de la société. Comme le souligne le Wall Street Journal, les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud sont déjà actuellement les principaux marchés du réseau social et constituent sa principale source de croissance potentielle. Alors que les audiences en Europe et aux États-Unis ont tendance à stagner, « pratiquement tous les nouveaux utilisateurs de Facebook viennent de pays en voie de développement », écrit le journal.    Or, plusieurs documents fournis par Frances Haugen montrent que le système de modération se révèle particulièrement lent à supprimer certaines pages problématiques utilisées par des organisations criminelles dans le cadre du trafic de drogue, d’êtres humains ou d’incitations à la violence. Des employés ont ainsi pu signaler une page utilisée par un réseau basé au Moyen-Orient pour tromper des femmes en leur faisant miroiter un travail pour ensuite les contraindre à se prostituer. En Éthiopie, ce sont des groupes armés qui ont utilisé Facebook pour appeler à des violences ethniques.     L’exemple le plus frappant est celui rapporté, dans un rapport interne envoyé à la direction de Facebook en janvier 2021, par un ancien policier spécialisé dans la cybercriminalité, embauché par la société en 2018 pour faire partie d’une équipe chargée de surveiller les « pays à risque ». Ces enquêteurs numériques y expliquaient avoir découvert l’existence d’un réseau sur Facebook et Instagram utilisé par le Cártel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), le cartel de Jalisto nouvelle génération en français, l’un des plus violents et redoutés cartels de la drogue mexicains.         Il faut dire que le CJNG ne prenait aucune précaution pour dissimuler ses activités et postait, sur ses multiples pages, des photos de scènes de crime ou d’armes en plaqué or. Les enquêteurs de Facebook ont également découvert que le cartel utilisait ses réseaux sociaux pour recruter de nouveaux membres et les envoyer dans des camps d’entraînement, ainsi que pour rémunérer des tueurs à gages.    Dans son rapport, l’équipe d’enquêteurs demandait à ce que des mesures soient prises afin de s’assurer de la suppression de toutes les pages liées au CJNG. Si certaines l’ont bien été, d’autres sont cependant restées en ligne et de nouvelles ont été créées. Quelques jours après l’envoi du rapport, le cartel postait même, sur un nouveau compte Instagram, une vidéo d’un homme exécuté d’une balle dans la tête. « Cette page, parmi d’autres pages sur Facebook et Instagram faisant la promotion du cartel, est restée active pendant au moins cinq mois avant d’être fermée », rapporte le Wall Street Journal.      Le vendredi 17 septembre, le quotidien racontait comment les internautes antivaccination avaient réussi à mettre en échec Mark Zuckerberg, qui souhaitait que son réseau social participe à la campagne d’incitation.     Cet article clôturait une première semaine de révélations quotidiennes sur Facebook sans que le nom de la lanceuse d’alerte n’apparaisse une seule fois. Une seconde salve d’articles fut publiée entre les mardi 28 septembre et vendredi 1er octobre, révélant notamment les projets de Facebook visant à attirer de plus en plus de préadolescents sur son réseau social Instagram. Là encore, l’anonymat de Frances Haugen restait préservé.      La lanceuse d’alerte a révélé elle-même son identité dans une interview diffusée le dimanche 3 octobre dans l’émission « 60 minutes » sur la chaîne CBS. « Facebook, encore et encore, a montré qu’il a choisi le profit au lieu de la sécurité », accusait-elle.  Dans les jours qui ont suivi, Frances Haugen et ses soutiens ont levé le voile sur l’organisation de cette fuite et de cette campagne de communication orchestrée avec une redoutable efficacité. Spécialiste des algorithmes, Frances Haugen a travaillé pour plusieurs grandes entreprises du Net, comme Google ou Pinterest, avant d’être embauchée par Facebook en 2019.     Là, elle explique avoir été choquée par le fonctionnement de l’entreprise de Mark Zuckerberg et par les nombreuses dérives qu’elle a pu constater. « J’ai vu un paquet de réseaux sociaux et c’était substantiellement pire à Facebook que ce que j’avais vu avant », affirmait-elle dans son interview à CBS. Plusieurs éléments vont la conduire à quitter Facebook, comme la fermeture de son service juste avant l’élection présidentielle américaine de 2020. Lors de son dernier jour, au mois de mai 2021, elle envoie sur la messagerie Internet un dernier message prémonitoire : « Je ne déteste pas Facebook. J’aime Facebook. Je veux le sauver. »    Frances Haugen n’a pas agi sur un coup de tête. Elle avait pris soin de contacter Whistleblower Aid, une association fournissant assistance aux lanceurs d’alerte créée par John Tye, un ancien agent du département d’État américain ayant lui-même dénoncé, à l’occasion de plusieurs interventions en 2013 et 2014, la surveillance des communications pratiquée par le gouvernement américain.    Avec l’aide de Whistleblower Aid, Frances Haugen a soigneusement préparé la divulgation des documents. Elle a ainsi contacté des parlementaires et plusieurs autorités, auxquels elle les a transmis. Elle est notamment entrée en contact avec le sénateur démocrate Richard Blumenthal et la sénatrice républicaine Marsha Blackburn qui, au printemps dernier, organisaient justement une série d’auditions sur la manière dont les réseaux sociaux comme Instagram collectent des données sur les enfants....   _____________________________

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