De la mesure...
...Dans la mesure... qui peut mener à la démesure
De la mesure en toute chose, disait Horace, héritier d'une pensée grecque, qui était passée du mythe à la pensée rationnelle et aux premiers fondements des mathématiques. Il faut savoir raison garder face à l'hubris, à l'excès des passions , mais aussi à l'ivresse du calcul, qui peut tout envahir, dans ses tentatives légitimes d'éclaircissement, de mise en ordre du réel , surtout depuis Galilée et son fameux slogan, qui allait fonder la science moderne, la nature est écrite en langage mathématique. Sous toutes ses formes les mathématiques ont bien été (et restent) les outils indispensables de la compréhension du monde, jusqu'en biologie.
Mais le souci de la mesure, si indispensable dans le domaine de la pensée rigoureuse, scientifique, peut finir par devenir tellement illégitime et obsessionnel dans certaine domaines, qu'il finit par dénaturer les faits observés, la gestion de la réalité, même humaine, en sortant de son champ, en fonctionnant comme un alibi.
C'est le règne du calcul qui prend une place démesurée et illégitime, surtout dans des domaines où il n'a rien à y faire, même sous ses formes algorithmiques. Les fervents du web n'y échappent pas, avec sa logique souvent binaire.. (*)
La raison mathématique rencontre ses propres limites internes, mais la quantophrénie de certains chercheurs virent parfois à la dénaturation des faits, comme le reconnaissait Gurvitch dans les sciences humaines, comme le soulignait aussi Levi-Strauss, qui parfois formalisait, mais très peu.. Un peu , mais pas trop et dans certaines limites légitimes seulement.
Le qualitatif et le quantitatif finissent par se confondre, jusqu'à l'absurdité parfois. La vague mesurante tend à investir des secteurs où le qualitatif doit rester la norme, surtout dans la gestion des hommes.
Dans le positivisme du XIX° siècle, certaines théories de Galton, sous prétexte de scientificité, ont donné lieu à mains dérapages, à des confirmations de préjugés non analysés. Il connut des émules.
Dans les questions de l'évaluation, souvent étroitement comptable, on voit jusqu'à quelles démesures et quelles dérives certaines méthodes de calcul myope peuvent mener.
Une certaine folie évaluatrice a beaucoup à voir avec le système qui la produit, avec les intérêts dominants.
La logique purement comptable prend le pas sur les critères qualitatifs, que l'on perd de vue.
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(*) ...Le stimulant petit livre du professeur d’histoire de l’université catholique d’Amérique, Jerry Z. Muller(@jerryzmuller), The Tyranny of Metrics (La tyrannie des métriques, Princeton University Press, 2018, non traduit) (qui) se révèle être un très bon petit guide pour nous inviter à prendre un peu de recul sur notre obsession pour les chiffres.
« Il y a des choses qui peuvent être mesurées. Il y a des choses qui valent d’être mesurées. Mais ce que nous pouvons mesurer n’est pas toujours ce qui vaut d’être mesuré ; ce qui est mesuré peut n’avoir aucune relation avec ce que nous voulons vraiment savoir. Le coût de la mesure peut-être plus fort que ses bénéfices. Les choses que nous mesurons peuvent nous éloigner des choses dont nous voulons vraiment prendre soin. Et la mesure nous apporte souvent une connaissance altérée – une connaissance qui semble solide, mais demeure plutôt décevante. »