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La bagnole, un symbole

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Du besoin (relatif) au mythe (évolutif).
                                  L'objet voiture n'es pas un un objet comme un autre.
                   Il cristallise les rêves de toute une époque, dont nous commençons à peine à sortir.


    Celle des débuts déjà, avec les voitures Ford réservées à une élite, puis aux classes les plus privilégiées. 
   Celle de notre époque, qui a banalisé l'objet, devenu le plus souvent purement utilitaire, mais qui garde toujours le rôle de marqueur social.   De la C3 à la Mercedes haut de gamme jusqu'aux rares exemplaires de voiture très haut de gamme, il y a, à travers les options et les usages (ou les non usages), toute une symbolique de la réussite.
   Même si la recherche planche sur une autre automobile, même si on en annonce la disparition.
    Le sociologue André Gorz, dans les années 70, était un des premiers à théoriser le succès irrationnel de la voiture individuelle et ses conditions de développement et aussi de son déclin programmé.
       Elle "offre l’exemple contradictoire d’un objet de luxe qui a été dévalorisé par sa propre diffusion. Mais cette dévalorisation pratique n’a pas encore entraîné sa dévalorisation idéologique : le mythe de l’agrément et de l’avantage de la bagnole persiste alors que les transports collectifs, s’ils étaient généralisés, démontreraient une supériorité éclatante...."
  Comme Yvan Illich, plus tard, qui souligne les paradoxes et les contradictions liés à son succès:
«...; L’Américain type consacre plus de mille cinq cents heures par an (soit trente heures par semaine, ou encore quatre heures par jour, dimanche compris) à sa voiture : cela comprend les heures qu’il passe derrière le volant, en marche ou à l’arrêt ; les heures de travail nécessaires pour la payer et pour payer l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et impôts… A cet Américain, il faut donc mille cinq cents heures pour faire (dans l’année) 10 000 km. Six km lui prennent une heure. Dans les pays privés d’industrie des transports, les gens se déplacent à exactement cette même vitesse en allant à pied, avec l’avantage supplémentaire qu’ils peuvent aller n’importe où et pas seulement le long des routes asphaltées....; »
    Comme Roland Barthes, qui voit dans la voiture un mythe qui se renouvelle sans cesse.
   La voiture fait partie intégrante du rêve américain, largement diffusé après-guerre. S'il est singulièrement émoussé, il en reste quelque chose, notamment avec la mythique Ford Mustang, accessible à quelques happy fews rêvant encore d'aventures symboliques, qu'ils peuvent faire rugir à leur guise. L'objet ne cesse de marquer la distinction, la hiérarchie sociale: le trader de chez Barclays ne peut rouler avec le même véhicule que l'ouvrier de chez GM.
   Priorité a été donnée à la voiture, sous la pression des pétroliers, sur les transports en commun.
      Nous avons des difficultés à sortir du piège dans lequel nous sommes maintenant enfermés. Le VAE peut suffire en milieu urbain, mais moins en province, où le lieu de travail et celui de la résidence se trouvent de plus en plus éloignés. Souvent par nécessité.
     Se passer de voiture n'est pas à la portée de tous.
  Le dépassement de l'automobile n'est pas si proche que souhaitée, même si l'électrique remplace partiellement le pétrole, même si le mythe s'affrite, devenant une contrainte, dans laquelle certains n'ont plus que la ressource d'y dormir. 
    A moins que des révolutions technologiques proches obligent à repenser complètement le problème du transport, individuel et collectif...
                        Tesla, c'est pas ça. L'électrique, c'est pas magique.
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Washington: fin d'une époque?

Publié le par Jean-Etienne ZEN

L'après Reagan

                    Une nouvelle ère semble bien s'engager.  La pensée de l'ancien acteur hollywodien, marquée par l'influence de l'école de Chicago prônant un libéralisme d'un nouveau genre, dont Hayek et Friedman furent les prophètes, semble bien en recul. L'Etat n'est plus le "problème", mais redevient l'arbitre et l'incitateur, avec le nouveau plan de reconstruction des fondations; la finance libérée et omnipotente devra se plier à des règles pour ne plus engendrer des crises majeures pas sa folie spéculative; le marché n'est plus portée aux nues, dans le contexte où l'ultralibéralisme ou même les libertariens avaient pignon sur rue.                              ________Joe Biden a fait un pari raisonnable. Déjà la fin de la concurrence fiscale va permettre, si elle est appliquée, de ne plus léser certains Etats, même à l'intérieur de l'Europe, où l'Irlande et le Luxembourg pratiquent allègrement le dumping fiscal, au désavantage des pays voisins, malgré les principes européens de solidarité. Un plan social ambitieux, une réforme scolaire d'ampleur, celle des impôts qui baissaient toujours pour les plus favorisés, tout cela initie d'autres priorités et une autre logique économique, dont beaucoup d'Etats feraient bien de s'inspirer.  Non, on avait pas tout essayé, comme on aimait répéter, même à Paris. Non, les marchés pouvaient ne pas être roi dans une mondialisation heureuse (Alain Minc). La croyance en la main de Dieu était une justification commode pour un "laisser faire" parfois destructeur, comme la théorie du ruissellement arrangeait bien les intérêts des winners. Avec Biden, les choix politiques redeviennent enfin prioritaires. Un pari risqué, mais un pari audacieux, qui peut sauver l'Amérique d'elle-même. Mais pas seulement. Si....

 

                             "...La doctrine Reagan semble s’essouffler. En moins de cent jours à la Maison Blanche, Joe Biden s’est posé en champion de l’État-providence en multipliant les annonces d’investissements publics ambitieux pour « sauver l’emploi » ou « reconstruire en mieux » le pays, à l’image de son lointain prédécesseur Franklin D. Roosevelt, père du New Deal des années 1930.     Après avoir fait adopter par le Congrès un plan de relance de 1 900 milliards de dollars (10 % du PIB américain), qui prévoit la distribution de chèques de 1 400 dollars à 90 millions d’Américains et doit réduire de moitié la pauvreté infantile à travers une série d’aides et d’allègements fiscaux, il planche à présent sur un programme à plus de 2 000 milliards de dollars visant à moderniser les infrastructures du pays.                             Loin de s’arrêter en si bon chemin, Biden a demandé au Congrès, début avril, d’adopter un budget de 1 500 milliards de dollars pour étendre le réseau d’écoles maternelles publiques et le parc de logements sociaux, tout en renforçant la lutte contre le changement climatique et les programmes de santé pour les minorités raciales. Autant de projets qu’il entend financer en partie par une augmentation d’impôts sur les entreprises et les ménages les plus riches, à contre-pied du « ruissellement » et du laisser-faire prônés par Reagan.                            « C’est la première fois que le reaganisme est remis en question de la sorte par un président. Et c’est très inattendu que cela provienne de Joe Biden, qui n’est pas vu comme un progressiste, s’étonne Douglas Rossinow, professeur à Metropolitan State University (Minnesota) et auteur de l’ouvrage The Reagan Era. Obama avait dit qu’il serait le président qui tournerait la page de l’héritage de Ronald Reagan. Il l’a fait en partie avec sa réforme du système de santé, qui était un effort de nationalisation de la santé. Mais Biden va encore plus loin. »                     __Démocrate pro-New Deal devenu conservateur pro-business au fil de sa carrière d’acteur et de sa vie politique, Ronald Reagan arrive au pouvoir dans un contexte de marasme économique pour les États-Unis. L’économie américaine est alors minée par les séquelles de la guerre du Vietnam, qui a conduit à des déficits budgétaires colossaux, et par l’épuisement du modèle fordiste, marqué par une baisse tendancielle du profit depuis le milieu des années 1960. « Nous vivions alors dans un climat de stagflation, avec une inflation galopante et très peu d’emplois disponibles. Cela minait le moral des Américains et générait beaucoup de frustration. On avait l’impression que tout avait été essayé. On allait de récession en récession », rappelle Brian Domitrovic, professeur d’histoire à Sam Houston State University (Texas) et auteur de plusieurs ouvrages sur les politiques de Ronald Reagan.     Élu facilement en 1980 pour succéder à Jimmy Carter, le 40e président applique une politique de soutien de l’offre, approche devenue populaire dans les années 1960. Son équipe de conseillers économiques compte notamment Arthur Laffer, père de la « courbe de Laffer », une théorie économique selon laquelle un taux d’imposition trop élevé conduit à une baisse des recettes fiscales pour l’État en raison d’un effet décourageant sur les entreprises. Ronald Reagan engage alors plusieurs « rounds » de baisses d’impôts (sur le revenu, les entreprises, les plus-values…). L’inflation est contrôlée, le chômage baisse. Même les démocrates applaudissent cette politique néolibérale, y compris un certain Joe Biden, alors sénateur du Delaware.    « À l’époque, les démocrates étaient favorables aux baisses d’impôts. Même Kennedy en son temps avait dit qu’il ne fallait pas taxer le capital au point d’affecter la production », rappelle Brian Domitrovic. D’ailleurs, certains démocrates issus du Sud conservateur du pays, surnommés « Reagan Democrats », se sont sentis tellement proches des idées du républicain qu’ils ont changé de parti à ce moment-là.                __Contrairement à ce que Reagan répétait dans ses discours, il ne voyait pas le gouvernement fédéral comme un problème pour tout. Tout en coupant les vivres à de nombreux programmes sociaux afin de réduire la taille du « Big Government » (« l’État obèse »), il ne s’est pas privé d’augmenter le budget de l’armée et de prôner l’intervention de l’État dans la lutte contre l’avortement ou pour autoriser la prière dans les écoles. Il n’empêche qu’à l’issue de ses deux mandats, le républicain avait profondément transformé le pays et sa vie politique.     Son laisser-faire économique (« Reaganomics ») et son « nouveau fédéralisme » (retrait de l’État fédéral au profit des États fédérés) ont donné le ton pour ses successeurs, y compris démocrates. « Depuis Reagan, aucun président américain n’a augmenté les impôts sur les plus riches, note Brian Domitrovic. Barack Obama voulait revenir sur les baisses d’impôts de George W. Bush, son prédécesseur, mais ne l’a pas fait. Joe Biden serait le premier en 40 ans ! »                « Clinton a épousé une approche néolibérale pro-business dans la foulée de Reagan. C’est devenu la formule gagnante pour le leadership démocrate, qui a vu la croissance économique des années Clinton. Barack Obama a aussi choisi de ne pas adopter une approche populiste. Modéré, il a pris une orientation technocratique », ajoute Douglas Rossinow.     Pour ce dernier, le changement de cap de Joe Biden s’explique facilement. « Il a toujours été une créature de l’époque politique. Donald Trump et la pandémie ont uni le parti comme jamais en plusieurs décennies. La colère grandissante autour du creusement des inégalités économiques pendant ces 15 dernières années a planté les graines de politiques qui n’ont pas été aussi progressistes depuis la présidence de Lyndon Johnson dans les années 1960. » Ce dernier est le père de la « Great Society », un ensemble de réformes sociales et civiques dont l’ambition était d’éradiquer la pauvreté et l’injustice raciale. « Joe Biden n’a pas besoin de convaincre les Américains : il y a une demande d’intervention de l’État aujourd’hui. Elle existe depuis la crise économique de 2009. »   Pour Douglas Rossinow, l’augmentation proposée des impôts sur les sociétés (de 21 à 28 %) et sur les ménages les plus riches n’est pas le seul point sur lequel Joe Biden se détourne de Ronald Reagan : la lutte contre l’inflation aussi. « Président, Reagan menait une politique anti-inflationniste qui s’appuyait sur la Fed, la banque centrale américaine. La politique a porté ses fruits car les États-Unis ont une faible inflation depuis le début des années 1980. Aujourd’hui, Joe Biden conduit une politique d’expansion fiscale sans se soucier de l’inflation. Il est soutenu par l’actuel président de la Fed, Jerome Powell, qui a été nommé par Donald Trump. S’il arrive à conduire une telle politique, c’est en grande partie grâce à Powell..... »   _______________________

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Boulot et déco

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

La déco, c'est du boulot!
                                     On s'active au Palais.
         La moquette est en mauvais état. Il faut faire vite. Il y a urgence.
    C'est la faute à Nemo. Et de Brigitte, qui est trop bonne.
 Certes, il y a d'autres chiens chats à fouetter. Surtout en ce moment.
    Il faut faire face.
  Sinon, c'est l'obsolescence programmée.
     Tout part en c... même le rêve européen.
  Mais il ne faut pas céder, quoique...
 La ligne bleue des Vosges 3% recule sans cesse.
Il faut se rendre à l'évidence, Ce n'est pas une surprise, comme dit l'autre:

Des zincs de comptoir aux plateaux « tout info », des tombereaux de commentaires dévalent de tous côtés pour « donner du sens » aux événements tragiques qui déchirent la France. Ces feux follets de l’actu disent la réalité par bribes, attrapent les mots au vol, cherchent des explications sous toutes les pierres – ou pavés – qui jonchent les rues de Paris. Pourtant, la révolte qui éclate aujourd’hui ne devrait pas nous étonner, encore moins nous laisser démunis : voilà des années, déjà, que des essais à la fois profonds et percutants nous préviennent du malaise grandissant et de la colère qui gronde. Ne sait-on pas, depuis Le Capital, de Thomas Piketty, à quel point les inégalités se creusent entre ceux qui possèdent et ceux qui travaillent ? Que la théorie du ruissellement est un leurre qui ne profite qu’aux plus fortunés, comme l’a bien montré Arnaud Parienty ? Que la gauche n’attire plus les classes défavorisées, que l’école n’est plus un ascenseur social, que les tensions s’accumulent et que tout cela crée de terribles frustrations dans la population, tout en alimentant dangereusement les populismes, comme nous le disait récemment Yasha Mounk ? Le « décembre rouge » qui se profile a des racines lointaines et profondes. Depuis des années, nous avons essayé, dans les pages « Penser autrement » de Télérama, de donner la parole à ces chercheurs qui, régulièrement, sont décriés par les politiques – souvenons-nous du « Expliquer, c’est déjà un peu justifier » de Manuel Valls. Voici rassemblés quelques-uns de ces entretiens. Ils en disent sans doute beaucoup plus long sur ce qui se passe sous nos yeux que les tirades politiques bien huilées, ou paniquées, qui s’abattent confusément sur nous...
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Le Président et Amazon

Publié le par Jean-Etienne ZEN

Les cents jours

                        Ils sont décisifs, dit-on. Pour tout nouveau gouvernement voulant réformer vite et bien. L'erreur d'Obama est d'avoir trop tardé et de s'être fait piéger, malgré ses promesses, par de puissants intérêts financiers et ceux du Pentagone, en en restant trop souvent à des discours humanistes.    Biden sait qu'il ne se représentera pas, donc il n'a rien à perdre, sans souci de gagner les futures élections. C'est son avantage. Outre que les événements et le désir de rendre aux classes moyennes laminées toute leur place, il s'engage dans un New deal qui n'a pas l'ampleur ni l'audace de celui de Roosevelt, mais qui peut redresser la barre de manière significative et ouvrir de nouvelles voies.                                  ___ "Joe l'endormi", selon l'expression trumpienne, se réveille avec un ensemble de mesures significatives, même si l'on peut avoir des doutes sur sa ligne actuelle en politique étrangère. Il ne va pas sauver le monde ni transformer le système, mais il peut amorcer un certain retour à une époque pré-reaganienne, sans faire plier la finance et la remettre à une place plus contrôlée.           ___Un coup bien senti à l'égard de Amazon et de sa politique délibérément anti-syndicale. Mais ira-t-il plus loin en revoyant les pratiques des Gafas en général, sur lesquels pleuvent les critiques, pas seulement en Europe. Rossevelt a osé démanteler certains intérêts puissants à son époque, nuisibles à l'intérêt général, et on avait pratiqué la suppression des monopoles bien avant lui. Les admonestations ne suffisent pas.                                         __________Ce n'est pas le "grand soir" à la Maison Blanche, mais des semi-ruptures qui ne pourront aller jusqu'à des réformes de fond demandés par la gauche du parti démocrate. On le voit déjà avec le problème des armes, fléau américain: le poids des lobbies et celui du Congrès ont toute chance de ne pas faire aboutir les voeux présidentiels. Taxer les plus riches n'est plus une obscénité, mais juste une mesure imposée par les circonstances, même si on ne reviendra pas de si tôt aux années d'après-guerre, même si le FMI semble avoir changé de ton....   Affaire  à suivre...Encore un effort M. Biden!   

 

 

Points de vue:                                 "...Les premiers pas de la présidence Biden sur le plan économique, s’ils ne laissent pas indifférent, posent un certain nombre de questions sans réponse. Quelque chose a bougé outre-Atlantique. Mais la nature de ce mouvement reste imprécise : est-on à l’aube d’un dépassement du néolibéralisme et de la naissance d’une nouvelle voie keynésienne et sociale-démocrate ? Ou s’agit-il avant tout, comme l’écrit l’économiste de l’université de Genève Bruno Amable dans Libération, d’une simple « correction des excès de la libéralisation néolibérale et une tentative de revenir à un capitalisme un peu moins prédateur » ?     Se poser la question, c’est aussi poser celle des ambitions et des limites de la politique Biden. La réponse ne peut qu’être partielle, dans la mesure où l’on ignore comment cette politique va évoluer et comment elle va sortir du débat au Congrès. Mais certains éléments permettent déjà de définir des lignes fortes de rupture avec les réflexes néolibéraux. Et des limites.   La première ligne de rupture, c’est la logique économique même du plan Biden. L’administration états-unienne n’a pas écouté les critiques et les mises en garde des économistes néokeynésiens qui, traditionnellement, conseillaient les démocrates au pouvoir. Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Clinton et concepteur du plan de relance Obama, et Olivier Blanchard, chef de file de cette école, ne cessent depuis des semaines de pousser des cris d’orfraie sur le risque de surchauffe qu’induiraient les dépenses du plan Biden. Encore ce lundi 12 avril, dans les colonnes du Financial Times, Larry Summers se disait très inquiet des effets de ce plan sur le retour d’une inflation « jamais vue depuis des décennies ». Mais le fait même que ces économistes en soient réduits à protester continuellement signifie précisément qu’ils sont demeurés à la porte de la Maison Blanche.    Et pour cause : la vision économique du plan Biden est inverse de la leur. Elle part des besoins. C’est la volonté d’améliorer les infrastructures, l’éducation, la santé, le logement social qui prime. Dans cette vision, c’est le sous-investissement chronique dans ces domaines qui bloque la croissance des États-Unis. C’est ici où les néokeynésiens ne sont pas écoutés : ces derniers considèrent, en conformité avec le consensus néolibéral, que ces dépenses ne peuvent relever la croissance potentielle, car les États-Unis sont proches du niveau de production et d’emploi maximum. Si des besoins sont insatisfaits, ils ne peuvent pas être satisfaits par l’État, ou bien on s’expose au risque d’inflation. Il faut donc soutenir l’offre productive et la concurrence pour les satisfaire.....Or Joe Biden, lui, décide de relever au même moment l’impôt sur les sociétés pour précisément « socialiser » une partie des profits du privé et les mettre à disposition de ces besoins collectifs. La dette et l’inflation ne sont plus présentées comme des contraintes indépassables pour l’action à long terme de l’État. C’est là encore une vision qui tranche avec la doxa néolibérale du « ruissellement », y compris par l’investissement privé, qui est encore défendue en Europe en général et en France en particulier.     Pour l’économiste Éloi Laurent, qui défend l’idée d’une « sortie de la croissance » (lire ses entretiens dans Mediapart ici et ), ce plan est une « rupture majeure » avec l’ère Clinton-Obama de la gauche états-unienne. Pour lui, donner la priorité aux infrastructures sur les questions de dette publique, d’inflation ou de déficits, c’est prendre conscience de la nécessité de « reconstruire un pays qui menace de s’effondrer ». Et de rappeler le risque d’effondrement démocratique que la prise du Capitole en janvier a mis en lumière, mais aussi l’effondrement écologique qui est devenu patent avec la vague de froid qui a frappé le Texas.    Dans ce cadre, ce plan est, pour Éloi Laurent, celui de la « refondation ». La refondation d’infrastructures globalement dans un état avancé de décrépitude : l’association des ingénieurs des États-Unis vient de leur donner une note globale de C- (l’équivalent de 8 sur 20). On peine souvent à prendre conscience de leur état de délabrement, des routes au chemin de fer, en passant par les réseaux d’eau ou d’électricité. Le plan Biden prend en compte cet état et l’urgence de la remise à niveau.      Mais c’est aussi la refondation démocratique, avec un travail sur les inégalités, qui est engagée par le premier plan, avec la distribution de chèques aux plus modestes, avec des investissements sociaux et le relèvement des impôts sur les plus grandes fortunes. Enfin, c’est une refondation écologique qui est engagée puisque les dépenses liées au changement climatique représentent la moitié du plan d’investissements.    Bien sûr, reconnaît Éloi Laurent, Joe Biden ne sort pas d’une logique de croissance, mais il remet, selon lui, les choses dans l’ordre ; il faut d’abord travailler sur les fondations et refonder l’économie dans un cadre social et environnemental sain. « La croissance peut être le résultat de cette refondation, mais ce n’est pas son objectif fondamental », conclut Éloi Laurent, pour qui Joe Biden « réinvente l’économie du XXIe siècle comme économie des fondations ». C’est pour cette raison qu’il définit les « infrastructures » dans un sens bien plus large que les économistes mainstream : il y inclut tous les éléments de cette refondation. En cela, la rupture avec la macroéconomie à la Summers est, encore une fois, profonde.     L’économiste de l’université de Los Angeles (UCLA) François Geerolf estime lui aussi que « l’immense changement, c’est que les économistes néokeynésiens, qui avaient un rôle prépondérant dans les administrations Clinton et Obama, sont beaucoup moins écoutés et que leur rôle est beaucoup moins important que sous les derniers mandats démocrates ». À la différence de ces derniers, pour qui l’État doit avant tout intervenir pour « réparer » les déviations du marché et uniquement à court terme, le plan Biden « envisage un État qui va être présent au long cours », relève François Geerolf....."        ________________

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Point de suspension

Publié le par Jean-Etienne ZEN

(Il y a si peu de temps...)

 

...Des luttes?
                Une journée décisive, peut-être. Mais personne ne peut vraiment le savoir.
    Nous vivons au coeur d'un mouvement inédit, à l'issue incertaine. Comme toujours dans l'histoire.
 La colère politique et sociale est, par nature, ambiguë mais elle a aussi ses causes et peut aussi, à certaines conditions, être source d'avancées significatives. La réappropriation du pouvoir par une masse qui en est largement privée ne peut être une mauvaise nouvelle, surtout dans le contexte actuel.
  Le problème est celui de l'organisation, de la convergence et de la fécondité d'un mouvement...en marche.
La reconnection est à l'ordre du jour. Le monarque doit redescendre dans l'arène.
    Sans lien social, pas de société debout. Les 3%, c'est est un mirage comptable dangereux, comme le reconnaît maintenant le FMI.


      Un tournant?  Peut-être...
    Comme le note cette brève et partielle synthèse, avec laquelle on peut, du moins partiellement, être en accord, Il y a des moments où les grilles de lecture traditionnelles ne sont d’aucun secours pour comprendre ce qui se passe. Où les outils de pensée habituels mènent à des impasses. La période actuelle, au potentiel insurrectionnel, est de ceux-là. Les profils des manifestants, les modes d’action, les alliances, les revendications : le mouvement des « gilets jaunes » échappe aux interprétations toutes faites des responsables politiques et des éditorialistes défilant sur les plateaux de télévision. Personne ne peut anticiper sur quoi débouchera la journée de samedi 8 décembre, l’« acte IV » de la mobilisation la plus insaisissable de la décennie, après l’accélération des explosions de violence au cours des dernières semaines.
Armé de ses présupposés technocratiques, le pouvoir ne comprend rien des événements qui se déroulent sous ses fenêtres. Face au surgissement de rage, il a perdu le « cap ». Le silence d’Emmanuel Macron, qui laisse Édouard Philippe en première ligne tout en le court-circuitant, fait transparaître la panique au sommet de l’État.
Signe d’un état d’anxiété extrême, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, évoque une journée qui « se profile avec inquiétude, mais sérénité ». Dramatisant à outrance, l’Élysée dit craindre la mobilisation d’un « noyau dur de plusieurs milliers de personnes » qui se rendraient à Paris « pour casser et pour tuer ». Ce discours du pire, allié à des demi-mesures fiscales qui ne répondent pas à l’urgence sociale, risque d’enflammer les manifestants plutôt que de les apaiser. Il révèle à quel point l’exécutif, qui est pourtant le seul à même de dénouer la crise, n’est plus maître de la situation.
Que vont produire sur des esprits surchauffés l’envoi des blindés dans les rues de Paris, alors que l’usage pléthorique et débridé des flashballs et des grenades assourdissantes GLI-F4 a déjà provoqué d’irrémédiables blessures ? Que vont produire les images des 153 lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux et mains sur la tête après leur interpellation « collective » ?
Seul le retour au terrain permet de donner à voir ce qui a lieu ici et maintenant. C’est le pari de Mediapart depuis le début du mouvement : multiplier les reportages partout en France, aller à la source, recueillir les témoignages (voir par exemple ici et ). Tous nos journalistes sont à pied d’œuvre pour faire entendre les voix, toutes les voix, sans a priori. À nos analyses sur les raisons économiques et sociales de la fronde, puisque Emmanuel Macron est en train de payer le prix de sa politique fiscale en faveur des plus riches, s’ajoutent nos mises en perspective historiqueséclairant l’expression des colères. Avec un objectif : saisir le présent dans toute sa complexité et trouver du sens là où le bruit médiatique plaque des interprétations réductrices....
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En deux mots...

Publié le par Jean-Etienne ZEN

__ Dubai: tourisme spécial en terre d'Islam

__ Nord Stream II: course de vitesse

__ Fukushima; comment s'en débarrasser?

__ Je suis désolé, disait-il

 

__ Plus blanc que blanc?

 

__ Timelapse

__ On embauche

__The Girl next Door?

__ Si les gens savaient...      

__ Philip, dernière aventure...            ______________________

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Doléances de toutes les couleurs

Publié le par Jean-Etienne ZEN


Cahiers de doléances:
                            Ils sont ouverts dans certaines mairies et circulent...
         Avec plus ou moins de succès, à l'heure   du numérique.
     Ils convergent sur de nombreux points.
          Le rapprochement avec ceux de 1789 vient à l'esprit. L'excès de taxes engendrent souvent de puissants mouvements sociaux éruptifs.
   Même si le contexte, l'urgence, les problèmes sont évidemment différents.
    Un contexte de crise économique et financière, que Turgot ne réglera pas, qui va entraîner la Révolution que l'on sait.
  De manière étonnamment déférente (*), on y demande une refonte profonde des institutions.        Pas seulement une réduction des nombreux impôts et l'impératif de leur partage.
      De l'Indre au Pas-de-Calais, on en retrouve la trace écrite, numérisée aujourd'hui.
  On peut toujours en consulter une grande partie, soigneusement archivée.
      Ce n'était pas encore les gilets jaunes, mais il y a des analogies.
          Ils nous apprennent beaucoup sur la France de l'époque.
______

(*) Sire, nous sommes accablés d'impôts de toutes sortes ; nous vous avons donné jusqu’à présent une partie de notre pain, et il va bientôt nous manquer si cela continue. Si vous voyiez les pauvres chaumières que nous habitons, la pauvre nourriture que nous prenons, vous en seriez touché. Cela vous dirait mieux que nos paroles que nous n’en pouvons plus et qu’il faut nous diminuer nos impôts. Ce qui nous fait bien de la peine, c’est que ceux qui ont le plus de bien paient le moins. Nous payons la taille, et le clergé et la noblesse rien de tout cela. Pourquoi donc est-ce que ce sont les riches qui paient le moins et les pauvres qui paient le plus ? Est-ce que chacun ne doit pas payer selon son pouvoir ? Sire, nous vous demandons que cela soit ainsi, parce que cela est juste. »

         Les paysans de Culmont, 1789.
« Nous ne sommes pas jaloux de leur grandeur et de leurs privilèges, mais nous sommes jaloux qu’ils ne payent pas le quart des impôts qu’ils devraient payer… D’où tiennent-ils ces honneurs, ce n’est que par les Devoirs et les Services que leurs ancêtres ont rendu à l’Etat et dont ils sont comptables… »
Ligny-les-Aire
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Même l'éternité a une fin...

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

 Tout ça pour ça!?

.                   La plus longue guerre des USA. Biden dit quitter l'Afghanistan, ouvrant ainsi une voie royale dans le pays à une plus large influence talibane. Le chaos a engendré l'inverse de l'effet officiellement recherché, comme en Iraq. Le radicalisme religieux a bien profité de l'aide militaire et organisationnelle de la CIA, dès le début de la résistance contre l'occupation soviétique. On avait par intérêt créé un Frankenstein.                                                                                                            Un départ, enfin! Mais cela avait déjà été annoncé plusieurs fois avant lui, même par Obama, qui persista dans l'erreur. Quelle mission? Quel bilan! L'aventure des néo-conservateurs US, avec le bras armé de WW Bush a réussi sa mission: désorganiser un peu plus le pays, le livrer aux groupes armées et à la corruption. L'hubris a porté ses fruits attendus: l'impasse totale, comme pour tous les empires qui ont voulu soumettre ce pays-citadelle. Le bon investissement annoncé par Dick Cheney n'a même pas eu lieu. 

 

         ______Tout fini par se savoir, comme les ressorts cachés de cette aventure tragique. La dissimulation fut une stratégie. Pour le pire des résultats. Aux USA, tout finit par se savoir. En tout cas beaucoup de choses. Même s'il faut du temps pour y arriver.     C'est ainsi que les dessous de la politique vietnamienne de plusieurs présidences s'est trouvée dévoilée par certains journalistes curieux et finalement par des voix officielles. C'est ainsi que l'intervention musclée au Chili a été démystifiée peu à peu et finalement par Kissinger lui-même. De même pour l'intervention en Irak, qui a commencé par un énorme mensonge de l'administration néo-conservatrice Bush, et dont les véritables visée ont été finalement révélée à la presse.  _____ Il en est de même pour l' aventure afghane, sans qu'on fasse vraiment la somme des victimes civiles et des dégâts matériels provoqués par une intervention longue et violente. Les visées économiques de ce fiasco furent passées sous silence pendant longtemps. Et il y a encore beaucoup à savoir.      Le Washington Post continue à faire progresser l'analyse de ce qui devint un bourbier, un pays où s'enlisèrent déjà Alexandre le grand, les troupes coloniales anglaises et celles de l'URSS, que les supplétifs du Pentagone contribuèrent au retrait, avec l'aide des djiadistes recrutés secrètement au Pakistan._______

          Un recueil de documents gouvernementaux confidentiels obtenus par le Washington Post révèle que de hauts responsables américains n’ont pas dit la vérité sur la guerre en Afghanistan tout au long de cette campagne de 18 ans, faisant des déclarations optimistes qu’ils savaient être fausses et cachant des preuves indubitables que la guerre était devenue impossible à gagner.     Les documents ont été produits dans le cadre d’un projet fédéral visant à examiner les échecs fondamentaux du plus long conflit armé de l’histoire des États-Unis. Elles comprennent plus de 2 000 pages de notes inédites d’entrevues avec des personnes qui ont joué un rôle direct dans la guerre, des généraux et des diplomates aux travailleurs humanitaires et aux responsables afghans.        Le gouvernement américain a tenté de dissimuler l’identité de la grande majorité des personnes interrogées dans le cadre du projet et a dissimulé presque toutes leurs remarques. Le Post a obtenu la publication des documents en vertu de la loi sur la liberté de l’information au terme d’une bataille juridique de trois ans.    Au cours des entrevues, plus de 400 de collaborateurs ont critiqué sans retenue ce qui s’est passé en Afghanistan et comment les États-Unis se sont enlisés dans près de deux décennies de guerre.     Avec une franchise rarement exprimée en public, les entretiens ont mis à nu des plaintes, des frustrations et des aveux refoulés, ainsi que des suppositions et des rumeurs malveillantes.      « Nous n’avions aucune compréhension fondamentale de l’Afghanistan – nous ne savions pas ce que nous faisions », a déclaré Douglas Lute, un général de division de l’armée qui a servi comme tsar de la guerre en Afghanistan à la Maison-Blanche sous les gouvernements Bush et Obama, à des enquêteurs en 2015. Il a ajouté : « Qu’essayons-nous de faire ici ? Nous n’avions pas la moindre idée de ce que nous entreprenions ». [war Czar (tsar de la guerre) : expression familière pour désigner l’adjoint au président et conseiller adjoint à la sécurité nationale pour l’Irak et l’Afghanistan, NdT]       « Si le peuple américain connaissait l’ampleur de ce dysfonctionnement… 2 400 vies perdues », a ajouté M. Lute, attribuant la mort de militaires américains à des défaillances bureaucratiques entre le Congrès, le Pentagone et le département d’État. « Qui dira que c’était en vain ? »       Depuis 2001, plus de 775 000 soldats américains ont été déployés en Afghanistan, dont un grand nombre à plusieurs reprises. Sur ce nombre, 2 300 y sont morts et 20 589 ont été blessés au combat, selon les chiffres du ministère de la Défense.         Les entretiens, à travers un large éventail de voix, mettent en relief les principales défaillances de la guerre qui persistent à ce jour. Ils soulignent que trois présidents – George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump – et leurs commandants militaires ont été incapables de tenir leurs promesses de victoire en Afghanistan.      Comme la plupart d’entre eux parlaient en supposant que leurs remarques ne seraient pas rendues publiques, les responsables américains ont reconnu que leurs stratégies de guerre étaient complètement erronées et que Washington avait gaspillé d’énormes sommes d’argent pour tenter de transformer l’Afghanistan en un pays moderne.        Les entretiens mettent également en lumière les tentatives bâclées du gouvernement américain de mettre un frein à la corruption galopante, de mettre sur pied une armée et une police afghanes compétentes et de faire reculer le commerce florissant d’opium du pays.       Le gouvernement américain n’a pas fait une comptabilité complète des sommes qu’il a dépensées pour la guerre en Afghanistan, mais les coûts sont énormes.          Depuis 2001, le ministère de la défense, le département d’État et l’Agence des États-Unis pour le développement international ont dépensé ou affecté entre 934 et 978 milliards de dollars, selon une estimation ajustée en fonction de l’inflation calculée par Neta Crawford, professeure de sciences politiques et codirectrice du projet Costs of War à l’Université Brown.     Ces chiffres ne comprennent pas l’argent dépensé par d’autres organismes comme la CIA et le ministère des Anciens Combattants, qui est chargé des soins médicaux pour les anciens combattants blessés.          « Qu’avons-nous obtenu pour cet effort de mille milliards de dollars ? Ça valait mille milliards de dollars ? » Jeffrey Eggers, un ancien membre des Navy SEAL et membre du personnel de la Maison-Blanche pour Bush et Obama, a déclaré aux intervieweurs du gouvernement. Il a ajouté : « Après l’assassinat d’Oussama ben Laden, j’ai dit qu’Oussama riait probablement dans sa tombe aquatique compte tenu des sommes que nous avons dépensées pour l’Afghanistan ».     Les documents contredisent également un long chapelet de déclarations publiques de présidents, de commandants militaires et de diplomates américains qui, année après année, ont assuré aux Américains qu’ils faisaient des progrès en Afghanistan et que la guerre en valait la peine.      ______Plusieurs des personnes interrogées ont décrit les efforts explicites et soutenus déployés par le gouvernement des États-Unis pour tromper délibérément le public. Ils ont dit qu’il était courant au quartier général militaire de Kaboul – et à la Maison-Blanche – de falsifier les statistiques pour faire croire que les États-Unis étaient en train de gagner la guerre alors que ce n’était pas le cas.                « Chacune des données a été modifiée pour présenter la meilleure image possible », a déclaré Bob Crowley, colonel de l’armée de terre qui a été conseiller principal des commandants militaires américains en matière de contre-insurrection en 2013 et 2014, aux enquêteurs du gouvernement américain. « Les sondages, par exemple, n’étaient pas du tout fiables, mais ils ont confirmé que tout ce que nous faisions était juste et que nous devenions un cornet de crème glacée qui se lèche lui-même » [self-licking ice cream cone : expression idiomatique désignant une organisation ou une entité dont le seul but est de promouvoir sa propre existence et sa propre splendeur, NdT].     John Sopko, the head of the federal agency that conducted the interviews, acknowledged to The Post that the documents show “the American people have constantly been lied to.”     John Sopko, le directeur de l’agence fédérale qui a mené les entretiens, a reconnu au Post que les documents montrent qu' »on a constamment menti au peuple américain ».       _______Les entretiens sont le sous-produit d’un projet mené par l’agence de Sopko, le Bureau de l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan. Connu sous le nom de SIGAR, l’agence a été créée par le Congrès en 2008 pour enquêter sur le gaspillage et la fraude dans la zone de guerre.       En 2014, sous la direction de Sopko, le SIGAR sort de sa mission habituelle d’audit et lance une activité parallèle. Intitulé « Leçons apprises », ce projet de 11 millions de dollars visait à diagnostiquer les échecs de la politique menée en Afghanistan afin que les États-Unis ne répètent pas leurs erreurs la prochaine fois qu’ils envahiraient un pays ou qu’ils tenteraient de reconstruire un pays sinistré.        ____Le personnel des Leçons apprises a interviewé plus de 600 personnes ayant une expérience de première main de la guerre. La plupart étaient américains, mais les analystes du SIGAR se sont également rendus à Londres, Bruxelles et Berlin pour interviewer des alliés de l’OTAN. De plus, ils ont interviewé une vingtaine de responsables afghans pour discuter des programmes de reconstruction et de développement.     S’appuyant en partie sur les entrevues, ainsi que sur d’autres documents et statistiques du gouvernement, le SIGAR a publié sept rapports sur les Leçons apprises depuis 2016 qui mettent en lumière les problèmes en Afghanistan et recommandent des changements pour stabiliser le pays.    Mais les rapports, rédigés en prose bureaucratique dense et centrés sur un méli-mélo d’initiatives gouvernementales, ont laissé de côté les critiques les plus dures et les plus franches ressortant des entretiens.     « Nous avons constaté que la stratégie de stabilisation et les programmes utilisés pour la mettre en œuvre n’étaient pas adaptés au contexte afghan, et que les réussites dans la stabilisation des districts afghans duraient rarement plus longtemps que la présence physique des troupes de la coalition et des civils », peut-on lire dans l’introduction à un rapport publié en mai 2018.        Les rapports omettaient également les noms de plus de 90 pour cent des personnes interviewées dans le cadre du projet. Alors que quelques fonctionnaires ont accepté de parler officiellement au SIGAR, l’agence a déclaré qu’elle promettait l’anonymat à toutes les autres personnes qu’elle interrogeait pour éviter la controverse sur des questions politiquement sensibles...."_______________________________
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Ravaudages et rafistolages

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Petits changements à la marge, plutôt esthétiques.
                                             Il fallait s'y attendre. Mais c'est bientôt Noël.
                    On garde la ligne. D'abord acheter la paix sociale.
     Le problème de l'euro et des contraintes qu'il impose dans les conditions actuelles ne sera pas remis en question. C'était à prévoir.
    La question des marchés et des pressions financières exercées sur le budget de l'Etat, sous la menace d'une dette d'après crise, constituée essentiellement par les ponctions sur les contribuables, ne sera pas abordée. C'est le grand tabou.
   La grande réforme concernant les impôts directs, naguère annoncée, est évitée avec soin. Ce qui aurait fait bondir pourtant Roosevelt en son temps. Le monde enchanté des ultra-riches peut encore prospérer et ça ne ruisselle pas. On s'en doutait.
  Les études de Piketty, lu jusqu'aux USA, par Obama,  ne seront pas prises en compte. Ce n'est pas une surprise. Il n'y a pas que le smic.
    On ne parlera pas non plus de la spéculation effrénée qui continue à sévir, sans véritable investissement productif, ni des fuites fiscales, considérables. Ou si peu, sous forme d'une vague intention formulée au passage.
      On connaît le rituel de ces affirmations de principe. Pour calmer le jeu. Le point de rupture est dénié.
   Le dogme des 3% n'est pas remis en question.  Sans lien social, pas de société debout. Les 3%, c'est est un mirage comptable dangereux, comme le reconnaît maintenant le FMI.
   C'eût été l'occasion de repenser l'Europe. C'est pour les calendes grecques.
      Un échec consommé, comme le titre le Figaro? On ne voit pas très bien quel pas de plus ferait Jupiter après la crise qu'il a contribué à déclencher et qui risque de rebondir.
   Le flou est entretenu.
 Les résistances et les réticences de notre plus important partenaire ne peuvent mener bien loin.
Certaines voix d'économistes ne sont pas entendues, comme prévu:

 

            Près de vingt ans après le lancement de l’euro, le 1er janvier 1999, la situation de la monnaie unique européenne est paradoxale. D’un côté, l’échec de ce projet est patent, étant reconnu par la plupart des économistes compétents, dont de très nombreux prix Nobel. De l’autre, ce sujet est maintenant tabou en France, au point qu’aucun responsable politique n’ose plus l’aborder de front. Comment s’explique une telle situation ?                       Personne ne relie le mouvement actuel des « gilets jaunes » à l’échec de l’euro. Or, l’appauvrissement du plus grand nombre, dont il est le signe le plus manifeste, découle directement des politiques mises en œuvre pour tenter de sauver, coûte que coûte, la monnaie unique européenne. Il ne s’agit pas tant, ici, de la politique monétaire d’assouplissement quantitatif pratiquée par la Banque centrale européenne, peu efficace, au demeurant, pour relancer la production, mais des politiques budgétaires de hausse des impôts et de baisse des investissements publics, partout exigées par la Commission de Bruxelles. Celles-ci ont, certes, fini par redresser les comptes extérieurs de certains pays déficitaires. En revanche, ce fut au prix d’une « dévaluation interne », c’est-à-dire d’une diminution drastique des revenus, associée à un étranglement de la demande interne. Elles ont ainsi engendré un effondrement dramatique de la production dans la plupart des pays d’Europe du Sud et un taux de chômage resté très élevé, en dépit d’un exode massif des forces vives de ces pays.
     La zone euro est désormais celle dont le taux de croissance économique est devenu le plus faible du monde. Les divergences entre les pays membres, loin d’avoir été réduites, se sont largement amplifiées. Au lieu de favoriser l’éclosion d’un marché européen des capitaux, la « monnaie unique » s’est accompagnée d’une montée de l’endettement, public et privé, de la majorité des nations. Or, l’existence même de l’euro, dont on pouvait autrefois encore discuter les effets, est maintenant devenu un sujet absolument tabou. Tandis que son lien avec le mécontentement actuel est manifeste, les partisans de l’euro font miroiter aux Français ses avantages largement illusoires (sauf la facilité de déplacement en Europe). Ils dressent un tableau apocalyptique de la situation économique qui prévaudrait en cas de sortie de la « monnaie unique », dans le but d’affoler des Français qui n’ont pas approfondi le sujet.
      Face à de tels arguments, il faut aujourd’hui montrer tout ce que l’euro a fait perdre à la France en matière de croissance économique (effondrement de ses parts de marché en Europe et dans le monde, affaiblissement dramatique de son appareil industriel). Les Français subissent déjà des reculs en matière de pouvoir d’achat, d’emploi, de retraite, de qualité des services publics, etc. Les politiques de « dévaluation interne », qui sont indispensables si l’on veut garder l’euro, n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre chez nous, contrairement aux autres pays d’Europe du Sud, mais elles provoquent déjà des réactions de rejet. Le mouvement des « gilets jaunes » en est la conséquence directe.
             Il faut donc expliquer à nos compatriotes que l’inconvénient majeur de l’euro, pour la France, est un taux de change trop élevé qui engendre, fatalement, une perte de compétitivité de notre économie, en majorant les prix et coûts salariaux français vis-à-vis de la plupart des pays étrangers. Évitons de brouiller les esprits avec l’idée d’une coexistence éventuelle entre un franc rétabli et une « monnaie 2 commune », pourvue de tous ses attributs, car c’est une voie sans issue : une telle monnaie ne pourrait se concevoir valablement que comme une simple « unité de compte », analogue à l’ancien ECU. Quant à la perte de souveraineté due à l’euro, si elle est indubitable, il s’agit d’un sujet théorique, loin des préoccupations des Français, ceux-ci étant surtout sensibles à leur situation concrète.
    Faute d’avoir compris les vrais enjeux, beaucoup de nos compatriotes gardent ainsi, pour l’instant, une peur non dissipée vis-à-vis de tout bouleversement du statu quo, cependant que les partisans de l’euro poussent des cris d’orfraie à chaque fois que leur fétiche est remis en question. Que faire, dans ces conditions ? Face au mécontentement des Français, il est évident qu’aucune politique de redressement de la France ne sera possible si l’on ne parvient pas à recréer une monnaie nationale dont le taux de change soit adapté à notre pays. Mais il est également certain que ce changement doit être opéré dans des conditions qui soient à la fois viables et acceptées par le peuple français.
      La première de ces conditions serait de préparer une transition harmonieuse vers un après-euro, si possible en discutant avec nos partenaires l’organisation d’un démontage concerté, mais sinon en prenant l’initiative de façon unilatérale après avoir mis en place les mesures conservatoires appropriées. La seconde serait de faire comprendre à nos compatriotes les avantages d’une « dévaluation monétaire » du franc retrouvé, accompagnée d’une politique économique cohérente, maîtrisant l’inflation, comme ce fut le cas en 1958 avec le général de Gaulle, puis en 1969 avec Georges Pompidou. Et l’inflation serait encore moins à redouter aujourd’hui en raison du sous-emploi de nos capacités de production. La perte inéluctable de pouvoir d’achat, résultant du renchérissement de certaines importations, ne serait que modeste et passagère, étant très rapidement compensée par le redémarrage de la production nationale. La dette publique de notre pays ne s’alourdirait pas, car elle serait automatiquement convertie en francs (selon la règle dite lex monetae qui prévaut en matière de finance internationale). La France et les Français recouvreraient ainsi les brillantes perspectives d’avenir que l’euro a, jusqu’à présent, constamment étouffées.
(        Tribune collective signée par Guy BERGER, Hélène CLÉMENT-PITIOT, Daniel FEDOU, Jean-Pierre GERARD, Christian GOMEZ, Jean-Luc GREAU, Laurent HERBLAY, Jean HERNANDEZ, Roland HUREAUX, Gérard LAFAY, Jean-Louis MASSON, Philippe MURER, Pascal PECQUET, Claude ROCHET, Jean-Jacques ROSA, Jacques SAPIR, Henri TEMPLE, Jean-Claude WERREBROUCK, Emmanuel TODD...)
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Quand les femmes s'y mettent

Publié le par Jean-Etienne ZEN

-Femmes d'exception

 Quand les femmes s'y mettent

                 [Extraits]

__ Une belle et simple syhthèse.

      Il n'y a pas de nature féminine, au sens d'un destin génétiquement programmé (Par ex, pendant la préhistoire)

   L'ordre masculin n'a pas toujours été dominant.

 

. Le tournant de la grande guerre et les promesses non tenues

 

         Dès le début de la guerre de 14, la mobilisation soudaine et massive des hommes fit que les femmes se retrouvèrent en première ligne pour assumer, dans les campagnes comme dans les villes, l'essentiel des tâches qui leur était dévolues. La propagande joua un rôle massif dans cette mutation provisoire imposée par les circonstances cruelles. Les effets furent ambigüs: d'une part, les femmes purent se sentir investies de nouveaux pouvoirs, essentiellement économiques mais, d'autre part, elles furent confrontées à des tâches d'une grande pénibilité et les bénéfices partiels de l'émancipation forcée ne se firent sentir que beaucoup plus tard, comme le droit de vote, par exemple. Sauf dans l'Europe du Nord, plus en pointe, plus tôt.                                                                                  _______________"...Si les femmes ont toujours travaillé, en tout cas à la campagne et dans les milieux populaires, le premier conflit mondial constitue néanmoins un moment particulier dans l’histoire du travail féminin : entre 1914 et 1918 en effet, les femmes ont remplacé « sur le champ du travail » les hommes partis combattre sur le front. Elles ont investi des domaines jusque-là majoritairement, voire exclusivement masculins, notamment les industries d’armement qui voient alors apparaître la célèbre figure de la munitionnette.     Ces remplaçantes fascinent tout autant qu’elles inquiètent : si cette main-d’œuvre féminine contribue au bon fonctionnement de l’arrière et se révèle donc indispensable à l’effort de guerre, ne faut-il pas avoir peur de l’inversion des rôles sexués qui semble s’opérer à la faveur de ce remplacement ? Cette crainte se renforce au cours des grandes grèves féminines du printemps 1917 : en cessant de fabriquer des obus, c’est tout le destin du pays que les ouvrières tiennent entre leurs mains.

Catherine Valenti

Affiche publiée en 1917 : le ramassage des pommes de terre dans le département de l'Oise. En agrandissement, des ouvrières peignent des obus de 75 mm dans un atelier de la fabrique, 31 mai 1917, Fort d’Aubervilliers, Seine-Saint-Denis, Ministère des Armées.

Femmes au travail pendant la guerre : des remplaçantes

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Rien qu'en France, plus de 3,7 millions d’hommes vont être appelés sous les drapeaux dès ce premier mois de guerre, désorganisant totalement l’économie : avec les nombreuses fermetures d’ateliers et de boutiques, ce sont 60% des emplois qui disparaissent du jour au lendemain.  La situation dans les campagnes est tout aussi critique, car les hommes sont mobilisés juste au début des moissons, moment le plus crucial de l’année dans cette France de petits exploitants agricoles, où 56% de la population est encore rurale en 1914, et où l’agriculture reste la principale activité économique.

Femmes aux champs en Auvergne pendant la Grande Guerre, carte postale. En agrandissement, femmes s'occupant des labours, Paris, BnF, Gallica.

       Dès le 6 août 1914, deux jours seulement après que le président de la République Raymond Poincaré a enjoint les Français à mettre leurs divisions de côté pour se rassembler dans une « Union sacrée » indispensable à la victoire future, le président du Conseil René Viviani lance un appel solennel aux femmes françaises, les invitant à « remplacer sur le champ du travail ceux qui sont partis sur le champ de bataille ».

Appel aux Femmes Françaises lancé par le gouvernement de René Viviani le 6 août 1914 afin de mobiliser les femmes des campagnes pour assurer les moissons et les vendanges.Ce faisant, Viviani inaugure dès les premiers jours du conflit la mobilisation des femmes, parallèle à celle des hommes, différente par sa nature mais tout aussi nécessaire à l’effort de guerre. L’appel de Viviani s’adresse d’abord et avant tout aux paysannes : les hommes ayant massivement rejoint le front dès le 3 août, c’est aux femmes qu’il appartient de mener à bien la tâche cruciale de la moisson.  « Le départ pour l’armée de tous ceux qui peuvent porter les armes laisse les travaux des champs interrompus », s’inquiète Viviani ; la moisson est inachevée, alors que déjà se profile le temps des vendanges. Même si la guerre est censée être courte – on pense alors qu’elle durera quelques semaines tout au plus –, il faut rassurer les hommes partis combattre : « Préparez-vous à leur montrer demain la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! »    Répondant à l’appel du président du Conseil, les paysannes s’attellent dès le début du mois d’août 1914 aux corvées traditionnellement dévolues aux hommes, sortant ainsi de leur « domaine réservé », celui de la ferme et de tout ce qui s’y attache : entretien de la maison, nourriture des hommes et des animaux de basse-cour.     Le labeur des paysannes est rendu d’autant plus difficile que les animaux ont été réquisitionnés au même titre que les hommes : les quelques photos d’époque qui témoignent de cette moisson si particulière de l’été 1914 montrent ainsi des femmes directement attelées à la charrue, remplaçant non seulement les hommes, mais aussi les animaux de trait.

Les moissons sans animaux, cartes postales.

        Les premières lettres des soldats font état de leur inquiétude : les femmes sauront-elles mener à bien ces lourds travaux qui nécessitent de la force physique dont elles sont en théorie dépourvue ? Les femmes s’y attellent sans regimber, conscientes que leur investissement participe de l’effort patriotique : René Viviani n’a-t-il pas affirmé qu’en ces heures graves où la patrie est menacée, il n’y a pas « de labeur infime », et que « tout est grand qui sert le pays » ?

La Française en temps de guerre, affiche de G. Capon, Washington, Library of Congress. En agrandissement, conductrice de tramway à Toulouse en 1914-1918, Paris, BnF.Mais l’absence des hommes ne se fait pas seulement sentir à la campagne : c’est aussi tout le secteur du commerce et des services qui pâtit de la mobilisation masculine. Tout comme les paysannes, les femmes de petits commerçants et artisans prennent elles aussi le relais de leurs maris, s’initiant à des missions autres que celles qui leur étaient habituellement dévolues – essentiellement la vente, éventuellement la comptabilité – pour faire tourner la petite entreprise familiale.     À l’arrière, de façon générale, les emplois désertés par les hommes, bien malgré eux, sont progressivement investis par les femmes, qui deviennent ainsi factrices, livreuses, gardes-champêtres, boulangères – fabricant le pain et ne se contentant plus de le vendre – ou encore conductrices de tramways : dans un article du 14 mai 1916, Le Figaro, évoquant « la conduite par des femmes de nos tramways parisiens », s’extasie devant « la souplesse avec laquelle nos femmes françaises s’ingénient à suppléer à la main-d’œuvre masculine si atteinte par les nécessités de la guerre ».

Le rôle des femmes pendant la Grande Guerre, Carte postale de 1915. Agrandissement : Le 1er juin 1917, dans le 10ème arrondissement de Paris, les premières factrices sortent du bureau de poste pour aller distribuer le courrier, Paris, BnF, Gallica.

Dans l’enseignement, les institutrices remplacent les instituteurs, dont la moitié sont mobilisés, tandis que pour la première fois, des femmes vont professer dans des lycées de garçons.

Le petit Journal illusré, 26 novembre 1916. En agrandissement, Mesure des obus, dessin de Tony Minartz, 1916, musée de Reims.Il est un domaine cependant où cette inversion des rôles traditionnels est perçue comme une véritable révolution : celui des industries d’armement. Les femmes françaises n’ont pas tout de suite été sollicitées pour venir travailler dans les usines de guerre : dans les premiers mois de conflit, on espère encore que la guerre sera courte et que l’industrie française produira suffisamment de canons et d’obus pour venir facilement à bout de l’ennemi.

C’est quand la guerre s’installe dans la durée, à partir de fin de 1914 et du début de l’année 1915, que se fait jour la nécessité de mobiliser toute l’économie et de faire tourner à plein régime les usines de métallurgie et d’armement. Le recours aux femmes n’est pas immédiat toutefois, car il implique une transgression des genres : il y a traditionnellement dans l’industrie des secteurs « masculins » – justement la métallurgie et l’armement – et des secteurs « féminins » tels le textile ou l’agro-alimentaire.   Dans un premier temps, des ouvriers donc sont mobilisés « sur place », secondés par des travailleurs coloniaux – en particulier des Indochinois, considérés comme peu aptes au combat et donc employés à l’arrière plutôt qu’au front. Mais cela ne suffit pas ; aussi en 1915 paraissent les premières circulaires ministérielles incitant les industriels à recourir à de la main-d’œuvre féminine : ainsi est née la « munitionnette ».

La fabrication de masques à gaz Michelin (1915), bibliothèque du Patrimoine de Clermont Auvergne Métropole.

Indispensable à l’effort de guerre, le travail des munitionnettes est particulièrement pénible, ainsi que le soulignent alors nombre d’observateurs. L’ouvrière qui travaille dans les usines d’armement étant une figure nouvelle, elle intrigue et suscite la curiosité, et de nombreux reportages lui sont consacrés.   La munitionnette est donc une manière d’héroïne – le général Joffre lui-même n’a-t-il pas déclaré dès 1915 que « si les femmes qui travaillent dans les usines s’arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre » ? Mais si on admire en général ces ouvrières, on a pu aussi en avoir peur, notamment au moment des grandes grèves de mai-juin 1917.

Chaque jour, soulever 5 000 fois 7 kilos

Entre novembre 1917 et janvier 1918, la journaliste féministe Marcelle Capy se fait embaucher anonymement dans une usine d’armement, et en ramène un reportage paru dans le magazine La Voix des femmes où elle raconte le quotidien des munitionnettes :
Munitionnettes fabricant des obus, Le travail des femmes autrefois, Roger Colombier, éd. l'Harmattan, 2012.« L'ouvrière, toujours debout, saisit l'obus, le porte sur l'appareil dont elle soulève la partie supérieure. L'engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c'est le but de l'opération), relève la cloche, prend l'obus et le dépose à gauche. Chaque obus pèse 7 kg. En temps de production normale, 2 500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour 35 000 kg. Au bout de ¾ d'heure, je me suis avouée vaincue. J'ai vu ma compagne toute frêle, toute jeune, toute gentille dans son grand tablier noir, poursuivre sa besogne. Elle est à la cloche depuis un an. 900 000 obus sont passés entre ses doigts. Elle a donc soulevé un fardeau de 7 millions de kilos. Arrivée fraîche et forte à l'usine, elle a perdu ses belles couleurs et n'est plus qu'une mince fillette épuisée. Je la regarde avec stupeur et ces mots résonnent dans ma tête : 35 000 kg. »

Munitionnettes fabricant des obus, Le travail des femmes autrefois, Roger Colombier, éd. l'Harmattan, 2012.

Ouvrières en grève : le tournant de 1917

Certains contemporains n’ont pas manqué de s’effrayer de l’apparente féminisation de l’arrière, voire de l’inversion des rôles sexués dont elle paraissait témoigner. Le travail féminin, et notamment le remplacement des hommes dans certains secteurs qui n’étaient pas ou peu féminisés avant la guerre, est donc un facteur d’angoisse. Aussi cherche-t-on à tout prix à se rassurer, et la presse en particulier s’efforce de minimiser le bouleversement que constitue la figure de l’ouvrière employée en usine de guerre.

Les munitionnettes à la Une de l'Excelsior.Le terme même de « munitionnette », inventé pendant le conflit, est un mot qui se veut rassurant, avec son suffixe diminutif qui renvoie à la féminité. La façon dont les journaux de l’époque décrivent ces ouvrières d’un genre particulier est également significative : les munitionnettes « tricotent des munitions », elles « enfilent les obus comme des perles », etc. : ce sont là autant de métaphores qui renvoient les femmes à leurs activités traditionnelles, comme les travaux de couture, ou à leurs attributs spécifiques, avec l’assimilation des armes à des bijoux.   Conscientes de leur importance stratégique dans l’effort de guerre, les munitionnettes se sentent en position de force pour faire valoir leurs droits, face à des patrons qui souvent déduisent de leurs salaires les coûts engagés pour adapter les usines à la production massive d’obus et de munitions.  Si des mouvements de mauvaise humeur se manifestent de façon sporadique au cours de l’hiver 1916-1917, c’est au printemps 1917 qu’éclate un mouvement social de grande ampleur, mené principalement par des femmes. Celles-ci, en première ligne, ont sans doute moins à perdre que leurs homologues masculins. Les hommes qui travaillent dans les usines de guerre sont en effet des « affectés spéciaux », ouvriers mobilisés sur place qui échappent ainsi à l’enfer des tranchées : plus souvent qu’à leur tour qualifiés d’embusqués, ils ont tout intérêt à rester discrets.  Les grèves de la première moitié de l’année 1917 sont ainsi surprenantes à plus d’un titre : essentiellement féminines, elles n’ont absolument pas été anticipées par les syndicats, traditionnellement peu enclins à soutenir les revendications portées par les femmes ouvrières, ces dernières étant par ailleurs beaucoup moins syndiquées que les hommes.

Les Midinettes : Une du journal Les Hommes du jour, 26 mai 1917. En agrandissement, la une Sur le Vif, 2 juin 1917.De plus, la CGT, principal syndicat français, s’est ralliée en 1914 à l’Union sacrée, et son secrétaire général Léon Jouhaux travaille en bonne entente avec le ministre de l’Intérieur Louis-Jean Malvy afin de maintenir la paix sociale tant que durera la guerre.     Gouvernement et syndicats sont donc pris au dépourvu par ces grèves de femmes, qui surgissent dans un contexte bien particulier, celui de la flambée des prix qui se produit au printemps 1917 : la « vie chère » devient la principale préoccupation des classes populaires, et en particulier des femmes qui en tant que mères de famille sont concernées au premier chef par l’augmentation du prix des produits de première nécessité.   Le mouvement social qui éclate au mois de mai 1917 est donc totalement spontané et n’a été précédé par aucun signe avant-coureur : aussi n’a-t-il pas été possible de le désamorcer en amont, comme cela avait été le cas jusque-là.  Les grèves toutefois ne débutent pas dans le milieu des munitionnettes, mais dans celui des « midinettes », ces ouvrières de la couture qui peinent à subsister avec leur maigre salaire : les petites apprenties couturières gagnent à peine un franc par jour, ce qui en 1917 leur offre seulement la possibilité d’acheter un litre de lait ; les ouvrières plus aguerries ne sont guère mieux loties, le salaire des plus anciennes culminant à 5 francs par jour à peine....". (Merci à Hérodote. net-réservé aux abonnés)    _________________

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