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L'Europe: une erreur?

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Un débat non clos.
                            D'abord, l'euro est un fait, semblant parfaitement intégré. Au point que certains partis dits europhobes ne le remettent plus en question, ou de moins en moins.
        Il apparaît maintenant difficile de revenir aux monnaies nationales, quel que soit le jugement porté sur son origine, son opportunité et son avenir.

        La monnaie est chose complexe, sur laquelle bien des économistes peuvent être en désaccord, toujours entre violence et confiance.
    Pour plusieurs économistes américains, comme Stiglitz, la monnaie unique imposée (et non une monnaie commune avec variations nationales possibles), fut une erreur majeure. Un coup de force pour accélérer l'union et mettre au pas l'Allemagne, dans un contexte très particulier. Mais un amplificateur de crises.
   Mais peut-on maintenant envisager de l'abandonner sans risques politiques majeurs,  en semblant ignorer de plus la réalité européenne spécifique? On en débattra encore longtemps, même si une certaine souplesse, certains ajustements et modes de fonctionnement pourront être introduits dans l'avenir. Il n'est tout de même pas normal que la BCE soit hors contrôle politique, mais parfois sous injonction allemande, gérée par des enfants de Goldman Sachs et que le cour de la monnaie unique favorise autant de fait l'économie exportatrice de nos voisins d'Outre-Rhin.
    Il n'en reste pas moins que cette monnaie mise en place à la hâte, dans des circonstances bien spécifiques, est une monnaie bâtarde, pas franchement adaptée à la diversité des économies concernées, surtout sans unité politique et sans réelle convergences, souvent à l'encontre des principes émis.
    Une monnaie sans nation. D'où sa faiblesse structurelle congénitale, génétiquement problématique, malgré l'euphorie des premiers temps.
 Mais déjà en 2009, le statut de l'euro faisait l'objet d'âpres discussions.
   L'euro-fort-qui-ne-se-discute-pas a été depuis au centre de nombreux débats, pas seulement économiques, car la monnaie unique était d'abord un pari politique. Elle a souvent été présentée comme un parapluie ou comme un boulet, favorisant surtout la puissance exportatrice allemande, aux dépends de ses partenaires.

L’euro ne fait plus rêver

   A l'approche des élections européennes, le débat tend à se radicaliser.
Certains, comme J.C. Trichet, jugeait que seul un saut fédéral peut sauver un monnaie recouvrant des économies si contrastées. Trichet, avait « négocié au nom de Paris chaque virgule de tous [...] les aspects monétaires » du traité de Maastricht, en 1992, confie t-il à Le Point, en octobre 2013. Le poids de la garantie apportée par Trichet à l'euro est à la mesure du prestige dévolu à ses fonctions successives, en particulier à la tête de la BCE, de 2003 à 2011. Le haut fonctionnaire Jean-Pierre Jouyet résume leur place respective : « Trichet a été au système monétaire européen ce que Delors a été à la Commission et à la Communauté européenne ».
      En octobre 1990, François Mitterrand avait prévenu qu’une monnaie unique sans gouvernement européen ne survivrait pas longtemps. Or ce projet, s'il existe un jour, n'est pour l'instant qu'un projet des plus utopiques.
   La persistance d'un déséquilibre entre le nord et le sud de la zone euro, consécutive à la crise financière de 2008, puis la crise de l'euro, est la réalisation du scénario noir envisagé par l'establishment économique américain qui, de Friedman à Krugman, s'étaient penchés sur le rapport Delors.
   Quel était la raison de ce scénario noir ? C'était le vice de l'euro, c'est à dire l'absence de mécanisme pour mutualiser le risque macroéconomique entre les états. Autrement dit, un budget fédéral capable, comme aux États-Unis, de résorber les chocs asymétriques. Et, effectivement, les courbes de chômages des différents états des États-Unis, ont traversé la crise financière de 2008 en demeurant synchrones..."
       Plus d'un économiste, parfois de premier plan, considère l'euro comme une erreur et la possibilité de s'en débarrasser comme une nécessité et une possibilité qui ne mènerait à aucune tragédie si le processus est bien préparé, concerté, maîtrisé. Comme l'écrit un ancien europèiste, l'euro relevait de la pensée magique.

       Emmanuel Todd considère que la peur paralysante des élites face à une démarche techniquement possible est le principal frein qui nous empêche de passer à une monnaie commune (et non plus unique), permettant aux économies de respirer, de se développer et de sortir d'un marasme paralysant qui accentue la crise dans la plus grande dé-solidarité.
              L'euro nous pénalise et entraîne l'Europe à sa perte, disaient certains.
Selon Arnaud Montebourg, « L’euro pénalise l’industrie au lieu de la soutenir dans la grave crise de compétitivité que nous traversons. Tous les grands industriels européens dans l’aéronautique, dans l’agroalimentaire, dans les transports, et toutes les institutions économiques du FMI au Conseil d’analyse économique, lui-même placé auprès du Premier ministre, en passant par l’OCDE, défendent des politiques nouvelles et «non conventionnelles» visant à enfin faire baisser le niveau de l’euro. Pourquoi devrions-nous continuer à nous mettre la tête dans le sable» Sur ce point encore, on ne peut que partager le constat. Aujourd’hui, le taux de change de l’Euro pénalise la totalité de l’industrie française (et italienne, troisième pays de la Zone Euro). Ce taux de change accélère les processus de désindustrialisation que nous connaissons. Par ailleurs ils plongent aussi les pays de la périphérie de la zone Euro dans la déflation..." 
     Une monnaie batarde, donc?
    Les faiblesse de l'euro fort n'ont pas fini d'être soulignées, comme ses failles.
 Toujours encore en question, dans le contexte de l'après crise, l'euro longtemps apparaîtra comme une bulle cognitive.
   L'Europe, ce qu'elle deviendra demain, sera-t-elle toujours soumise à l'épreuve de la monnaie unique?
          Nul n'est prophète pour le dire...La question n'est pas (que) monétaire, purement économique.
___[Retour aux origines-  L'euro ou l'écu?]
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Le choix du chômage

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 Une question rémanente [notes de lecture]

                                              On finit par s'habituer à ce phénomène qui s'est installé depuis la fin des années Giscard et qui régulièrement suscite des mesures diverses selon les gouvernement qui se succèdent. Il s'agit d'un phénomène économique et social global, à géométrie plus ou moins variable, qui revient régulièrement sur le devant de la scène, devenant l'horizon indépassable de notre vie publique après une longue période de plein emploi. Certes, les explications ne manquent pas, faisant valoir les changements de structure de l'appareil productif, l'automatisation de plus en plus poussée, le coût d'une main d'oeuvre qui se déplace là elle est plus intéressante, toutes frontières ouvertes, le retard productif et celui de l'innovation, les défauts de la formation professionnelle, et....On connaît la chanson, même si on met rarement le doigt sur des décisions politiques stratégiques qui ont entraîné le ralentissement économique, notamment la priorité donnée à la financiarisation et la place exorbitante donnée dans l'entreprise aux actionnaire éventuels, réduisant les investissements et la part salariale  Le "travailler plus" revient comme un leitmotiv, une incantation sur fond de résignation et ne s'interroge pas sur la possibilité d'une croissance d'une autre nature.

 

        Une analyse un peu décalée et forcément incomplète, saluée par La Tribune, par rapport à la langue de bois officielle, permet de réfléchir sur un aspect du problème rarement évoqué, à lire et à discuter:                          ___ "  Le chômage de masse qui mine la France depuis une quarantaine d’années est souvent présenté comme inéluctable et naturel. François Mitterrand ne déclarait-il pas à ce sujet en 1993 qu’on avait « tout essayé » ? Pour Benoît Collombat, journaliste à la direction des enquêtes et de l’investigation de Radio France, ce fait social n’est pourtant pas une fatalité, mais bien la conséquence de choix politiques. Dans la bande dessinée Le choix du chômage (Futuropolis, 2021), qu’il vient de signer avec Damien Cuvillier, ce dernier a enquêté sur les racines de cette violence économique, qui est notamment liée à la construction européenne.....Une note de 1979 adressée par un haut-fonctionnaire du Ministère de l’Economie et des Finances au Premier ministre Raymond Barre en 1979 résume parfaitement les choses : « La politique économique et financière menée actuellement est la bonne. Elle est dans le couloir des bonnes options. Il y a une crête sur laquelle on peut se maintenir. Cela ne marche pas si mal : contrôle de la masse monétaire et du budget, tout cela va dans le bon sens. En revanche, il est impossible de régler le chômage à court terme. Il ne faut pas y songer. Il ne faut surtout pas utiliser la politique conjoncturelle pour tenter d’enrayer le chômage », conclut le haut-fonctionnaire. De Raymond Barre à Emmanuel Macron, nous sommes toujours dans ce même « couloir » d’options idéologiques.   LVSL – Dans votre bande dessinée, on retrouve le sociologue Benjamin Lemoine. Ce dernier y explique que l’État français n’avait, dans les années 1960, pas besoin de faire appel aux marchés pour financer ses déficits puisqu’il avait recours au « circuit du trésor ». Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionnait ce circuit et pourquoi nous ne l’utilisons plus.    ___  B.C. – Le « circuit du trésor » était un circuit de financement de l’État français qui lui permettait de contrôler les banques et les flux monétaires en ayant la main sur les taux d’intérêts et in fine la distribution du crédit. C’était un cycle vertueux au service de l’investissement public et d’une politique de plein emploi. Tout cela va être démantelé par strates face à une pression idéologique issue de la pensée anglo-saxonne. La seule interrogation qui demeure pour les hauts-fonctionnaires dans les années 1970 c’est de connaitre la part d’inflation tolérée lors des relances budgétaires.      Le sociologue Benjamin Lemoine (L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité du marché, La Découverte, 2016) explique que l’on est passé d’une époque où l’État investissait dans l’économie à une situation où l’État a été investi par les grands épargnants et les banques. Le renversement du rapport de force commence à s’opérer dès les années 1970 et va s’accélérer pendant le septennat de Valérie Giscard d’Estaing, sous l’action de son Premier ministre Raymond Barre (1976-1981). Ce dernier joue un rôle important dans les cercles de pensées néolibéraux : il a traduit en français Friedrich Hayek, l’un des penseurs du néolibéralisme, et a été vice-président de la Commission européenne, chargé de l’Economie et des Finances de 1967 à 1973. Lors d’une intervention devant un think tank libéral en avril 1983, Raymond Barre fustige ainsi « le goût invétéré du protectionnisme » propre au « tempérament français », appelant à « jouer la carte de l’ouverture sur l’extérieur, sans crainte des courants d’air mais, au contraire, en aspirant à en recevoir le souffle vivifiant. » Il utilise également une métaphore animalière censée incarner le retard français : « Il faut introduire le brochet de la concurrence internationale pour que nos carpes nationales perdent le goût de la vase », dit-il...."                                                 ____ L'ère Mitterrand fut une prolongation de cette logique de renversement des priorités. Une nouvelle logique s'installa. Au nom de la "modernité"....._______________

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Hibernata

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Trésors des glaces.
                       On ne sait s'il faut s'en réjouir ou non, mais le réchauffement climatique aurait du bon.
   On le sait et on s'en inquiète, les glaciers reculent un peu partout, la banquise se réduit peu à peu et les zones de neige dites éternelles le sont de moins en moins.
     Bien des raisons de se faire du souci.


    Mais pour les archéologues, c'est un âge d'or qui arrive. C'est le début d'un champ d'exploration inédit qui s'offre à eux.
     L archéologie glaciaire, voilà une nouvelle spécialité qui connaît des jours heureux.
«Une nouvelle discipline scientifique l'archéologie glaciaire– récolte et étudie ces vestiges, souvent en matériaux périssables et exceptionnellement préservés par congélation», précise Pierre-Yves Nicod, commissaire de l'exposition «Mémoire de glace: vestiges en péril» qui s'est tenue récemment au Musée d'histoire du Valais, en Suisse. Elle a offert aux yeux du public une sélection d'objets préhistoriques et historiques du Néolithique au XXesiècle, découverts sur les glaciers alpins...."
      Mais pas seulement dans le massif alpin.
   Des pans nouveaux de découvertes de toutes sortes s'ouvrent, qui pourraient bien renouveler certaines questions historiques en suspens.
    L'homme a laissé des traces partout, souvent là où on l'attendrait le moins, à la faveur des changements climatiques.
    Pas seulement dans les Alpes ou dans le Yukon.
  Mais il faut faire vite. Les découvertes sont d'une extrêmes fragilité et d'une grande volatilité.
 Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
On embauche, pour de fantastiques découvertes.
           Homo hibernatus, ce n'est pas du cinéma...
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Angela s'en va

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 Un tournant?

                        La chancelière prépare ses valises. "Mutti" s'y résigne enfin. Elément d'équilibre au sein de la vie politique allemande, elle rassurait plutôt, même si elle était une fidèle de la doxa des industriels allemands; ses soucis européens n'ont pas été remarquables. La RFA fait depuis longtemps cavalier seul, dictant même à ses partenaires des règles qu'elle n'avait pas de mal à imposer à elle-même, dégageant des excédents budgétaires hors du commun. Les partenariats avec son "hinterland" et les liens commerciaux tissés avec la Chine ont renforcé la prospérité, l'épargne étant la priorité pour le pays vieillissant.                                           ________Après la relative parenthèse de la période covid et les efforts de solidarité annoncée vis à vis des pays européens les plus en difficulté la droite conservatrice allemande se prépare pour une succession qui sifflera une fin de partie. (*)  Les grands dogmes de l'orthodoxie budgétaire, analogues aux lois d'airain de Schaüble naguère, vont revenir au premier plan, avec la rigueur qui l'accompagne et la crainte irrationnelle d'une montée de l'inflation...et la France suivra... Malgré les propositions de Macron et l'exemple de Biden. Dans des circonstances exceptionnelles, l'endettement peut être salvateur et entraîner un cercle vertueux. Mais la pensée de Keynes et l'exemple rooseveltien ne sont pas la référence à Berlin, malgré les demandes pressantes de certains économistes allemands notant les sous-investissement notoires du pays et la faiblesse des salaires pour une frange de la population qui a subi l'effet des lois Hartz.

 

              La question allemande revient, l'euro étant devenu l'instrument de la domination économique du pays, à la fois fort et fragile. Retour donc prévu à la rigueur le plus tôt possible, à l'orthodoxie monétaire la plus stricte.                                                                              "  ...Le parti de l’actuelle chancelière renoue (ainsi) avec ses fondamentaux, à savoir un respect strict des normes ordolibérales : orthodoxie budgétaire, réduction de 60 % du ratio d’endettement des administrations publiques et retour du « frein à la dette » (dispositif inscrit dans la constitution allemande qui prévoit que l’État fédéral ne doit pas afficher un déficit supérieur à 0,35 % du PIB potentiel).   Alors que les dogmes allemands avaient vacillé depuis le début de la crise sanitaire, les pressions internes de l’establishment ont été trop fortes. Décidé à en finir avec le « quoi qu’il en coûte », celui-ci se montre obsédé par la remontée des taux d’intérêt et le risque inflationniste. L’arrêt de mai 2020 du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe contre le plan de sauvegarde de la BCE constituait un signe avant-coureur de ce durcissement.   UNE TELLE RIGUEUR INTERROGE DANS UN PAYS QUI SOUFFRE DE SOUS-INVESTISSEMENT CHRONIQUE DANS L’ÉDUCATION ET LES INFRASTRUCTURES, COMME L’A ENCORE RAPPELÉ RÉCEMMENT UN RAPPORT DE L’OCDE. ELLE REVIENT À OUBLIER QU’UN BON USAGE DE L’ENDETTEMENT EXISTE, NOTAMMENT LORSQU’IL SERT DES INVESTISSEMENTS PORTEURS D’AVENIRS. PROBLÉMATIQUE POUR L’ALLEMAGNE, CETTE APPROCHE SACRIFICIELLE DE L’ÉCONOMIE L’EST TOUT AUTANT DANS SA DIMENSION EUROPÉENNE. LE PROGRAMME DE L’ALLIANCE CDU-CSU REJETTE AINSI CATÉGORIQUEMENT TOUT ASSOUPLISSEMENT DES RÈGLES EUROPÉENNES ET SE VEUT FERME SUR LA NÉCESSITÉ DE « SANCTIONNER SYSTÉMATIQUEMENT » LES VIOLATIONS À CELLES-CI. UNE FOIS DE PLUS, IL S’AGIT D’OPPOSER UNE « UNION DE STABILITÉ » À UNE « UNION DE LA DETTE ».       Ces prises de position sont tout sauf anodines dans la mesure où aucune réorientation de la construction européenne n’est possible sans la bonne volonté de l’Allemagne. Alors que le cycle néolibéral semble toucher à sa fin, l’Allemagne demeure arc-boutée sur des politiques d’un autre temps. Inflexible, elle entend répéter à l’échelle européenne les politiques du début des années 2010, comme si elle n’avait tiré aucune leçon de cette période qui a vu l’austérité détruire la confiance en l’avenir, étrangler le pouvoir d’achat et la croissance, et fouler aux pieds la souveraineté des peuples. De Stiglitz à Krugman, en passant par l’OFCE et le FMI, l’essentiel des économistes s’accorde sur le fait que les politiques de restriction budgétaire imposées pendant la crise des dettes souveraines ont été contreproductives, plongeant les pays européens dans la récession...."                                                                            L' ordolibéralisme restera donc vraisemblablement à l'ordre du jour, sauf si les Verts, le vent en poupe, ne viennent donner de nouvelles orientations aux conservateurs qui gardent encore espoir.

             ___   *    "...Dans 78 jours, l’Allemagne votera pour désigner celle ou celui qui succédera à Angela Merkel, la chancelière depuis novembre 2005 qui prend sa retraite. Les Verts, représentés par Annalena Baerbock, sont considérés comme les adversaires les plus sérieux des conservateurs de la CDU/CSU...Ces derniers ont réclamé ces derniers jours de relâcher la pression des règles budgétaires. Leur porte-parole, Lisa Paus, a fait le lien entre le déficit d’investissement du pays au cours des dernières années, au-delà même de la pandémie, et ce « frein à l’endettement ».   Outre-Rhin, le débat économique s’annonce donc comme un des thèmes centraux de la campagne électorale allemande en vue des élections fédérales qui se tiendront le 26 septembre. Pour le reste de l’Europe, ces élections fédérales allemandes semblent, en tout cas, sonner la fin de la récréation budgétaire. Avec des conservateurs prêts à écouter l’inquiétude de leur base, les marges de manœuvre de la révision des traités, et même de leur aménagement, semblent très réduites.  Fin juin, le président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et tête de liste des conservateurs pour les législatives du 26 septembre, Armin Laschet, et son collègue et patron de l’Union chrétienne-sociale de Bavière (CSU), Markus Söder, ont présenté leur programme électoral, un texte de 139 pages qui ne pouvait difficilement être plus éloigné du programme de leur concurrent écologiste, a relevé notre correspondant Thomas Schnee. « Stabilité et renouveau » est le titre de l’offre faite aux Allemands par les conservateurs. En effet il n’est pas centré sur la transition écologique mais sur une relance économique via un programme de baisse d’impôts qui favorise les entreprises et les foyers les plus aisés...." (Mediapart)   ______________

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Romophobie

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Les exclus.
               Clichés, caricatures et plus.
       Ceux qu'on appelle par simplification sémantique les Roms sont aux premières loges de toutes les formes d'exclusions.

        Qu'elles soient latentes ou violentes.
   Le retour de cet ostracisme ancien revient dans certains pays d'Europe, qui font de l'exclusions de l'étranger, par démagogie et parfois nationalisme réducteur, leur fond de commerce.
     La banalisation du dénigrement des "roms" est, hélas!, bien partagée en Europe, surtout actuellement. Les attitudes anti-Roms sont en hausse. Il n' y a pas que Matteo Salvini, qui ait appellé au profilage ethnique. 
     Face à la complexité des composantes ethniques de ce peuple aux aspects divers, les attitudes se résument souvent à une suspicion assez partagée, parfois une violence manifeste. Malgré des exceptions. Mais il y a les rumeurs...

    La clé pour comprendre pourquoi les Roms sont marginalisés à travers l’Europe "réside dans notre conception du territoire et de l’espace, ainsi que dans les processus de construction et de maintien de l’identité. Un exemple de ce travail identitaire est le stéréotype des Roms comme « nomades » itinérants qui n’ont ni foyer, ni racines fixes, ce qui sert à justifier leur exclusion.    Nulle part, les Roms ne sont considérés comme étant « des nôtres », comme membres de la société. En tant que peuple sans territoire, les Roms ne correspondent pas à la conception du nationalisme westphaliendans lequel une nation se confond avec un territoire souverain. Ils sont ainsi exclus de la vie publique, considérés comme une communauté problématique qui ne « rentre » pas dans la projection de la Nation. Cela fait des Roms des boucs émissaires de choix....."
      Le mythe du Tsigane voleur d'enfant a la vie dure, qui peut conduire au lynchage, voire pire. ... ABobigny, Clichy-sous-Bois, Montreuil, Bondy, Colombes, Montfermeil, St Ouen, Champs-sur-Marne, Aulnay et Sevran… Les attaques antitsiganes ont été provoquées par une rumeur raciste « relayée par 16 millions de contenus d’incitation à la haine et au meurtre sur les réseaux sociaux ». Des jeunes en colère s’organisent et se rendent dans les squats et les bidonvilles habités par les Roms. Ils cherchent la fameuse « fourgonnette blanche qui circule entre les villes de Nanterre et Colombes pour enlever des enfants ».       Le prétendu enlèvement d’enfants par des « Tziganes » est un sujet bien présent dans l’imaginaire général : « soyez sage sinon vous serez enlevés par des Tziganes » est une expression souvent utilisée dans plusieurs pays européens pour gronder les enfants. Déjà au début du XVIIe siècle, Miguel Cervantes se plongeait à décrire une héroïne voleuse d’enfants dans La Petite Gitane....
   Une sinistre histoire continue...Même s'il fut une époque où les "Roms" ne furent pas toujours mal acceptés..
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En deux mots

Publié le par Jean-Etienne ZEN

-__ Dubai paradis

__ Le fait du prince

__ L'ombre d'un doute

 

__ Une première?

 

__ Napoléon, mythe allemand

__ Navions helvètes

__ RSA: les"oubliés"

__ Ikea: feu de tous bois

__ Militaires= fonctionnaires?      _____________________

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Vers l'Etat dématérialisé

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Dématérialisation, inclusion et exclusion
                                                           Dans la start up nation, l'Etat se dématérialise à grande vitesse.
      Tous les actes administratifs, à quelque niveau que ce soit, devront vite passer pas le numérique (*)
                    A vos ordis!


     Même les non et les faiblement connectés, ceux qui n'ont pas d'ordinateurs ou qui ne savent et ne sauront jamais s'en servir, les analphabètes du clavier, les nombreux anciens qui ne s'y mettront jamais...
      La plupart des services publics ne seront accessibles que pour les familiers du net, que pour une partie de la population, surtout aisée, cultivée, urbaine.
     Près de 60% des personnes se disent démunis face à l'utilisation de l'ordinateur pour des tâches un peu élaborées. Ne parlons pas des plus âgés.
     L'exclusion numérique n'est pas rare. L'inclusion numérique ne favorise que ceux qui sont déja outillés et formés.
    Le pass numérique ne suffira pas, surtout à l'horizon 2022. et certains technophobes ou e-résistants ne franchiront pas le pas de si tôt.
   La e-administration va vite montrer ses limites. La modernité, c'est bien beau, mais elle risque de laisser beaucoup de monde au bord de la route, pour des démarches qui ne sont pas anodines.
Et quelques clics ne suffiront pas dans des démarches complexes.
Et s'il s'agissait d'abord de faire des économies, sans autre considération que la rentabilité immédiate?
______

   (*)   "  .....Incomplets , mélangeant des types de démarches à exécuter très hétérogènes (consultation, télédéclaration, ouverture de compte, information), ces recensements laissent en particulier dans l’ombre deux éléments pourtant majeurs du processus de dématérialisation engagé.
    D’une part, ne sont pas précisés pas quels « services » ne sont aujourd’hui accessibles qu’en ligne : demandes de bourses étudiantes, Prime d’activité, demande de logement social, inscription à pôle emploi, la liste serait longue des démarches qui ont basculé dans le « tout numérique », n’offrant aucune autre alternative aux administrés. Selon la typologie d’Albert Hirschman (1970), il n’y a ici pas de possibilité d’exit  : le rapport à l’offre doit nécessairement se faire par l’intermédiaire d’une interface numérique. Le Défenseur des droits a formulé plusieurs avis [5](2016) enjoignant aux services publics et administrations de proposer une offre de contact alternative au numérique, restée à ce jour lettre morte.
      D’autre part, ces tableaux ne rendent pas compte de la dématérialisation de la relation administrative, au-delà des procédures de demande de droit ou d’accès à des formulaires administratifs. Une part grandissante des échanges se déroule aujourd’hui par voie électronique (mail, sms, boîte de dialogue/ chat box), et on assiste à une généralisation de la prise de rendez-vous physique par internet (préfecture [6]CAF, Pôle emploi, etc.) couplée à l’impossibilité d’avoir un contact physique avec un agent pour les premiers contacts, les inscriptions, les démarches d’entame des procédures. De plus en plus, les usagers se voient orientés vers une interface en ligne pour prendre attache avec les administrations, ou obtenir des informations ou explications. Incidemment, la relation administrative devient ainsi majoritairement numérique, le contact « humain » (téléphonique ou physique en face à face) constituant une voie seconde et complémentaire des démarches en ligne. Ce virage de la dématérialisation de la relation apparaît d’autant plus fort qu’il s’est fait concomitamment à une réduction des accueils physiques et des autres modes de contact, renforçant la perception d’une déshumanisation du contact avec les administrations....
 
    En l’état actuel, l’obligation administrative à se connecter demeure très inégale entre les individus : une personne bénéficiaire de droits sociaux soumis à déclaration de ressources trimestrialisées a mécaniquement davantage l’obligation de se connecter qu’une personne ne percevant pas de prestations sociales. La connectivité étant socialement distribuée, l’on assiste ainsi à une double peine (Credoc 2016) : les individus les plus précaires, aussi bien économiquement que sur le plan de l’isolement social (Défenseur des Droits 2017) sont moins connectés alors que, dépendants davantage de droits et prestations sociales, ils ont davantage l’obligation de le faire.
     Davantage que d’exclusion numérique, qui renverrait à un manque de compétences d’individus qui ne seraient pas à l’aise avec le numérique, cette inégale exposition à l’obligation de connexion conduit à parler d’exclusion par le numérique : ce sont prioritairement les normes implicites de la dématérialisation qui rendent ici les usagers incapables de demander leurs droits...."
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Liban en chute libre

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 Tragédie absolue

                        Les malheurs s'accumulent et redoublent dans ce petit pays où le complexe système communautaire, qu'on pouvait considérer naguère comme une force, se transforme en obstacle majeur pour sortir du bourbier humain et du désastre économique dont on ne voit pas d'issue à court terme. Des forces externes s'exerçant sur de pays-carrefour contribuent à accentuer les rivalités et l'effondrement. Les conflits périphériques et les faiblesses institutionnelles se sont ajoutées pour amener le pays, naguère cité en exemple, vers un gouffre dont on ne voit pas le fond. Les timides recommandations françaises n'ont pas eu d'effets sur  le cours des événements et sur la chute annoncée. La diversité ethnique et religieuse souvent citée en exemple, est devenue un frein dans l'hypothétique redressement du pays, devenu à nouveau lieu d'influences pour les puissances voisines en conflit, dans ce Moyen Orient devenu encore plus "compliqué". Des leaders politiques, devenus chefs de clan, rivalisent d'influence mais contribuent à accélérer la chute, sous l'oeil impuissant de la France et de l'ONU.                                                                                                                               Qui viendra sauver le Liban dans sa descente aux enfers?   On le pressentait depuis des mois, voire des années, rien ne va plus au Pays du Cèdre. Le pire s'installe, même la famine menace, dans l'impuissance générale, résultat d'années d'incurie et de malversations, de spéculations en tous genres.

                         Point de vue et analyse pour comprendre un peu mieux les mécanismes d'une catastrophe autant politique qu'économique:
                            "...Le gouvernement libanais est à court de ressources face à cette crise. Il a demandé une ligne de crédit de 10 milliards de dollars au FMI qui, pour le moment, n’a rien débloqué. Les négociations butent sur les « réformes » qu’exige le Fonds et qui sont celles du consensus de Washington : baisse des dépenses publiques, licenciement des fonctionnaires, privatisations… Jean-Yves Le Drian viendra à Beyrouth comme le défenseur de cette ligne néolibérale assumée. Le 8 juillet, il lançait devant les sénateurs un appel à ses « amis libanais » : « Vraiment, nous sommes prêts à vous aider, mais aidez-nous à vous aider, bon sang ! » Autrement dit, « faites des réformes et vous aurez l’argent ». Tout cela fleure bon les aides « à la grecque » et une conditionnalité qui va plonger le pays dans un nouvel appauvrissement général, 30 ans après la fin de la guerre civile. L’effondrement du pays est l’occasion d’approfondir sa « néolibéralisation ».


       Pourtant, la crise actuelle du Liban n’est pas le fruit de la malchance, du virus ou des manifestations, ni même de la crise syrienne, qui a poussé un million de réfugiés dans ce pays. C’est le fruit d’un modèle de développement profondément néolibéral, engagé après la guerre civile sous la houlette des anciens premiers ministres Rafiq Hariri, assassiné en 2011, et Saad Hariri, son fils, chassé du pouvoir en janvier dernier par les manifestations. Pour le comprendre, il faut revenir au lendemain de la guerre, en 1990-1991.
        À cette époque, le Liban, qui avait été dans les années 1950 et 1960 la « Suisse du Moyen-Orient », est exsangue. Trente ans de guerre civile, la quasi-disparition de l’État, son dépeçage par les intérêts des factions et des pays voisins rendent l’économie ingérable. Naturellement, le pays manque de tout et doit donc tout importer. Comme il lui manque des devises, ses importations sont très coûteuses. L’hyperinflation menace, la livre s’effondre. Dans ces conditions, l’idée défendue par un certain nombre d’hommes d’affaires, à commencer par Rafiq Hariri, est de tout miser sur deux secteurs : l’immobilier de luxe et la finance. Grâce à leurs réseaux dans les pays du Golfe, ils espèrent financer la reconstruction par les pétrodollars en leur faisant miroiter de généreux profits. C’est l’adaptation du modèle des années 1950, mais en remplaçant son aspect commercial, où les négociants libanais étaient les intermédiaires entre le monde arabe et l’Occident, par une économie plus financiarisée. C’est un modèle adapté au néolibéralisme.
      De fait, le Liban peut devenir une forme de cas d’école du genre. On se souvient que la particularité du néolibéralisme réside dans un État mis au service du capital, principalement financier. L’État libanais va être utilisé à cet effet comme peu d’autres. D’abord, dès 1991, le Parlement vote le transfert de la propriété de dizaines de milliers de petits propriétaires du centre de Beyrouth à un promoteur immobilier, Solidere, détenu par des investisseurs du monde arabe et des Libanais, dont Hariri. Ce type de transfert va se multiplier. Comme le souligne l’historien spécialiste du Liban à l’université néerlandaise de Liverpool Hannes Baumann, dans un texte de janvier 2019, le Conseil de développement et reconstruction, créé dans les années 1960 pour favoriser le rôle de l’État, est alors mis au service de ce développement immobilier. Progressivement, le centre historique de Beyrouth est rasé pour laisser place à de grands ensembles d’immobilier de luxe.
       Mais une telle stratégie ne pouvait fonctionner qu’avec une monnaie forte et stable. Les investisseurs étrangers ne viendraient pas placer leur fortune au Liban pour la perdre ensuite en dévaluations. Il fallait donc stabiliser la monnaie. À l’automne 1992, le gouvernement décide de donner à la banque centrale, la Banque du Liban (BdL), la charge unique de la stabilisation de la livre libanaise, avec pour ambition de l’ancrer à un taux de change stable par rapport au dollar. C’est chose faite en décembre 1997, où la valeur de la livre est fixée à 1 500 par dollar. Avec cet ancrage, les dirigeants libanais espèrent faire d’une pierre plusieurs coups : favoriser non seulement l’immobilier, mais aussi le secteur financier, et mettre fin à la vie chère en réduisant les prix à l’importation.
      Bref, c’est la stratégie classique du « ruissellement » qui est mise en œuvre au Liban. On espère que les investissements étrangers vont se traduire par des emplois et un développement plus large. Pour être bien sûr de ne pas effrayer les riches, on fait reposer la fiscalité sur la TVA, plus que sur un impôt progressif. En cela, le Liban ne fait pas exception à cette époque. C’est le choix de plusieurs pays émergents alors, tels que la Bulgarie, la Croatie, l’Albanie ou l’Équateur, par exemple. Autant de pays où le ruissellement se fait toujours attendre…
     Ce sera aussi le cas au Liban. Pendant une grosse dizaine d’années, le système tient tant bien que mal. Mais, comme le souligne Hannes Baumann, le capitalisme libanais prend de plus en plus une forme rentière qui est assez spécifique du néolibéralisme, mais a été poussée à des niveaux très élevés dans ce pays. Alors que le Libanais moyen n’avait guère les moyens ni d’investir, ni d’habiter dans les résidences luxueuses construites par centaines à Beyrouth, les plus riches, eux, profitaient pleinement des effets de la politique de la Banque du Liban.
      En effet, pour maintenir la parité de la livre libanaise, la BdL a cherché à attirer les réserves en devises de la diaspora libanaise, des plus riches et des investisseurs du Golfe avec de très généreux taux d’intérêts. Concrètement, la BdL empruntait effectivement les devises aux banques commerciales libanaises qui, elles, les récoltaient auprès des investisseurs avides de taux élevés. Cela permettait à la BdL de disposer de réserves pour financer le déficit courant du pays et, le cas échéant, défendre la monnaie. Mais ce système ne fonctionne que si le pays utilise effectivement sa stabilité monétaire pour financer son développement, réduire son déficit commercial et, in fine, pouvoir réduire les taux. Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit au Liban.
      L’économiste Toufic Gaspard, de l’université du Sussex, a étudié de près, dans un article de 2017, cette politique monétaire de la BdL et en a montré la nocivité. Sur la période allant de 2011 à 2016, le taux payé pour les dépôts en dollars par la banque centrale était en moyenne supérieur de 5 points de pourcentage au taux interbancaire de référence, le Libor. « À tous points de vue, le taux d’intérêt de la BdL est très généreux », conclut-il. Selon lui, un taux allant de 2 à 2,5 % aurait permis d’attirer les dollars dans les caisses de la BdL.
       Or cette générosité a de nombreuses conséquences négatives. D’abord, les banques commerciales préfèrent évidemment prêter leurs fonds à la généreuse BdL plutôt qu’à l’économie libanaise. Près des trois quarts des bilans des banques libanaises sont ainsi constitués de créances sur la BdL ou l’État. À l’inverse, il est donc très difficile de financer des investissements productifs au Liban. Dès lors, seuls les projets très rentables comme l’immobilier de luxe sont financés ; l’outil productif, lui, est resté inexistant.
    À quoi bon, au reste ? La stabilité de la livre offrait effectivement un pouvoir d’achat supérieur en importations aux Libanais par rapport à la plupart de leurs voisins. Pourquoi se lancer dans la construction d’une usine lorsqu’il est meilleur marché d’importer les biens que de les produire ? Pourquoi investir dans l’outil productif en devant s’endetter à des taux prohibitifs lorsque la BdL offre des taux fabuleux pour l’emploi de son argent ?
     Le pays a alors connu un effet d’éviction de sa structure productive vers la finance. Globalement, le Liban pouvait, avec cette monnaie forte, avoir l’illusion de vivre sur les importations. La balance des paiements affiche donc un déficit de près d’un quart du PIB, ce qui suppose un afflux de devises important et, partant, un maintien du système de monnaie forte et de taux élevés.
    Une petite classe moyenne a certes pu voir le jour dans les années 2000 dans ce système, formée de négociants d’import-export, de responsables du secteur du tourisme ou d’employés du secteur financier. Mais, globalement, la croissance libanaise a été profondément inégalitaire. Ce sont les détenteurs de la richesse financière qui ont profité de ces politiques.
     Les chiffres du World Inequality Database (WID) sur le pays sont sans appel. Entre 1990 et 2016, la part de la richesse nationale détenue par les 10 % les plus riches est passée de 52 % à 57,1 %, tandis que celle détenue par les 50 % les plus pauvres est passée de 12,9 % à 10,7 %. Désormais, la moitié de la population détient moins de richesse que les 0,1 % les plus riches, qui captent 11,1 % du revenu national. Le ruissellement a échoué, au Liban comme ailleurs.
    Dans ces conditions, l’État libanais, en bon État néolibéral, est venu colmater, tant bien que mal, les brèches. L’emploi public est parvenu à assurer une certaine stabilité de la demande intérieure. Mais le Liban étant ce qu’il est, cet emplois public a, bien sûr, été souvent détourné à des fins communautaires pour « récompenser » des services politiques. Cela a sans doute gonflé la dépense publique et réduit l’efficacité de l’État. Cette corruption a aussi conduit à une préférence pour la dépense courante plutôt que pour l’investissement.
    Ainsi, Électricité du Liban (EdL), l’entreprise d’État qui gère le réseau électrique, est souvent présentée comme la preuve de la mauvaise gestion étatique. C’est indéniable. La corruption a gonflé les effectifs au détriment des investissements de maintenance. Mais le point essentiel est que l’État n’avait guère d’intérêt à développer les centres de production libanais et leur productivité puisque les importations étaient bon marché grâce à la monnaie forte.
   En réalité, ne voir dans la crise libanaise que le résultat d’un État trop présent et corrompu est un raccourci qui manque l’essentiel. L’État néolibéral est, par nature, au service des intérêts du capital, et sa fonction est souvent de pourvoir aux conséquences néfastes de cette politique par d’importants déficits publics. En l’espèce, l’immense déficit de l’État libanais de 9,6 % du PIB l’an passé, qui a conduit la dette publique à atteindre 155 % du PIB, s’explique non pas par une générosité immense de l’État providence libanais, mais par le modèle économique néolibéral.
     D’un côté, pour ne pas effrayer les capitaux étrangers, on a limité les recettes fiscales en renonçant à tout impôt sur les revenus du capital et en frappant d’abord les petits revenus et la consommation. De l’autre, pour assurer la stabilité monétaire, on a dû consentir des taux d’intérêts très élevés pour financer le déficit. L’effet « boule de neige » de ces taux, qui veut que lorsque l’on emprunte à des taux trop élevés on doive emprunter plus au fil du temps, a été redoutable pour le Liban. Le service de la dette compte alors pour 9,5 % du PIB en 2019…
     À partir de 2011, l’économie libanaise ralentit fortement. La crise syrienne inquiète les investisseurs, qui redoutent une contagion à ce petit pays qui est toujours au cœur des différends géopolitiques de la région, et notamment du conflit irano-saoudien. Le tourisme marque le pas, l’argent arrive moins aisément et l’afflux des réfugiés syriens pèse sur les salaires locaux et les dépenses de l’État.
     Pour faire face à cette situation qui creuse le déficit commercial, la BdL se lance dans une fuite en avant en offrant, comme on l’a vu, des taux très élevés pour assurer ses ressources en devises. Sauf qu’elle aussi est soumise à l’effet « boule de neige » : elle voit ses besoins de devises croître sans cesse pour pouvoir rembourser les banques commerciales. Entre 2015 et 2019, le passif en dollars de la BdL est passé de 39 à 100 milliards.
     Or, en parallèle, la situation économique n’incite guère aux placements dans les banques commerciales libanaises. La croissance moyenne du PIB libanais entre 2011 et 2019 est de 1,9 % et l’économie est en stagnation à partir de 2017. Faute d’investissements, le chômage explose et atteint 37 % de la population active. « Le coût de la stabilité financière a été et reste immense », déclarait en 2017 Toufic Gaspard.
     La machine infernale se met alors en route, progressivement. Les réserves nettes de change fondent comme neige au soleil, passant en septembre 2019 à − 49 milliards de dollars, contre un quasi-équilibre en 2015, ce qui incite à des hausses de taux qui ne sont plus perçues comme des gages de profits par les investisseurs mais comme le signe d’une perte de contrôle de l’ancrage au dollar par la BdL. Dès lors, les fuites de capitaux s’accélèrent. Même la diaspora libanaise, première source de devises pour le pays désormais, hésite à placer ses fonds dans les banques libanaises.
     La BdL et son gouverneur Riad Salamé, qui est à la tête de l’institution depuis 27 ans, en ont été réduits à tous les expédients pour dissimuler le problème. En août 2016, Toufic Gaspard rappelle que la banque centrale avait dû renflouer indirectement en livres libanaises deux banques qui avaient perdu un milliard d’euros dans des investissements malheureux en Égypte et en Turquie pour s’assurer qu’elles continuent de lui apporter leurs devises. Récemment, Riad Salamé a été accusé d’avoir maquillé les comptes de la BdL de 6 milliards d’euros en 2018 pour dissimuler la situation réelle.
     Mais en septembre 2019, le vernis craque. Le taux réel de la livre commence à se déprécier sur le marché non officiel, faute de dollars disponibles. La BdL perd complètement le contrôle de la situation. Le gouvernement de Saad Hariri est contraint à trouver de nouvelles ressources et à réduire ses dépenses. Sur une population déjà frappée par la pauvreté et les inégalités, et justement révoltée par la mainmise sur l’État des oligarques et des groupes religieux et communautaires, l’effet va être dévastateur. L’annonce de la « taxe WhatsApp » sur les appels passés par cette application est l’étincelle qui met le feu aux poudres en octobre 2019.
     Dès lors, les fuites de capitaux se font encore plus rapides, la livre libanaise s’effondre. Le pays, fortement dépendant de l’extérieur, manque de ressources pour satisfaire ses besoins. La crise du coronavirus, en réduisant la richesse de la diaspora et en ruinant la saison touristique, achève de détruire l’économie libanaise. La livre ne vaut plus rien et la misère se répand dans le pays. Les salaires en livres libanaises ne peuvent plus rien acheter. C’est la route vers le chaos.
      La réponse de la communauté internationale est donc en complet décalage avec la situation. Certes, la classe politique libanaise est de bien piètre qualité. Elle manque d’imagination et est empêtrée dans ses équilibres entre communautés. La libération du Liban des intérêts étrangers divergents est une condition sine qua non de la reconstruction du pays pour éviter la reprise du capitalisme de connivence. Mais l’erreur que commettent le FMI et son fondé de pouvoir que semble être Jean-Yves Le Drian, c’est de penser qu’il faut rétablir l’ancrage sur le dollar à tout prix.
     L’enjeu principal pour le Liban est de sortir du modèle néolibéral mortifère qui l’a plongé dans la crise. Pour cela, il faut une aide internationale centrée sur l’investissement et la construction d’une structure productive libérée de la finance et axée sur les besoins de la population. Le mouvement populaire qui est né en octobre 2019 n’est donc pas un ennemi de la stabilité du pays, c’est son meilleur atout. Il est en effet, à lui seul, capable de dépasser les seuls enjeux communautaires et de construire une économie plus juste.
    Au point où est le pays, son appauvrissement est inévitable. La vraie question est de savoir qui en sera la victime principale. En cherchant à maintenir la stabilité monétaire et l’attractivité pour les capitaux étrangers, en faisant porter le coût de l’ajustement sur la population par l’austérité, comme le veulent Paris et le FMI, on épargnera encore les oligarques, qui sont les principaux responsables du désastre, et on fera payer le prix fort à la population.

      L’ajustement doit donc se faire autrement, par un abandon de l’ancrage monétaire, par des taxes progressives, par l’annulation des créances en devises. Si la communauté internationale complète cette politique par des investissements productifs et une aide humanitaire d’urgence, le pire pourra être évité. Sinon, le Liban s’enfoncera dans la crise. Avec le risque que, comme dans les années 1970, cette crise économique dégénère.     La responsabilité internationale est donc immense face à ce petit pays fragile. " (F.Godin)  ____________

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L'euro (encore) en question

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 

Au bout de vingt an                 [ Eléments pour la réflexion]
                                        Que la monnaie européenne, dans le fonctionnement actuel du l'Union, pose problème, surtout depuis la dernière crise, est régulièrement en question.
 Jusque dans les cercles économiques les plus classiques, même si les avis sont souvent parfois partagés.
    La question de la monnaie unique (et non pas commune) revient périodiquement sous la plume d'économistes reconnus.
   Les faiblesses de l'euro fort ont maintes fois été soulignées.
        La conclusion d' un dernier rapport allemand revient à constater que: à l'exception des années 2004 et 2005, l'Allemagne a bénéficié chaque année de l'introduction de l'euro, surtout depuis la crise de l'euro en 2011 : de 1999 à 2017, l'euro a permis à l'Allemagne un gain cumulé de 1,9 billions d'euros, soit 23 116 euros par habitant. Parmi les pays observés, c'est donc l'Allemagne qui a le plus profité de l'euro.

                            "...Vingt ans, le plus bel âge de la vie ? Pas pour l’euro si l’on en croit une brève étude publiée par deux économistes allemands sous l’étiquette CEP (Centre de politique européenne) : L’euro a vingt ans : qui sont les perdants ? qui sont les gagnants ? 
      Cette étude empirique démontre qu’en vingt ans, la monnaie unique a fait perdre à chaque Français environ cinquante mille euros, soit 10% de leur revenu. Mais ne nous plaignons pas, les Italiens ont encore plus perdu que nous. Selon cette même analyse, les Allemands et les Néerlandais sont les seuls Européens qui ont tiré un franc profit de l’euro avec un gain par habitant de plus de vingt mille euros.
    En conformité avec les thèses « ordo-libérales » de l’école de Fribourg, les auteurs ont comparé les pays de la zone euro à des pays similaires étrangers à cette monnaie et en ont déduit ce qu’aurait été leur produit intérieur brut en l’absence de monnaie unique. La méthode est simple et réputée valide.
    La conclusion qu’en tirent  les auteurs est quant à elle abrupte : « Pour bénéficier de l'euro, la France doit poursuivre sur la voie des réformes engagées par le Président Macron. » La plupart des Français rejoignent cette conclusion, par attachement à la monnaie unique, soit parce qu’ils partagent les convictions néolibérales du président, soit parce qu’ils se félicitent de pouvoir emprunter de grosses sommes à des taux très bas, soit parce qu’ils pensent que son abandon porterait atteinte à leur patrimoine, soit enfin parce qu’en raison de leur âge, ils n’ont jamais connu que la monnaie unique.
    Il est permis toutefois de s’interroger sur les résultats de l’euro, si contraires aux espoirs qu’avaient placés en lui ses concepteurs.
   Quand fut signé le traité de Maastricht, en 1992, on annonça aux Européens un horizon de prospérité qui verrait les pays les plus pauvres rattraper les plus riches. C’est le contraire qui se produisit, dans un contexte plus explosif que n’en avait jamais connu le projet européen. Précisons d'abord que la monnaie unique n'est pas une nouveauté. Jusqu'au XIX° siècle, toutes les monnaies avaient une valeur à peu près stable, liée à leur poids en or.
  Les souverains, pour leurs besoins et leurs plaisirs, imposaient leurs sujets et, mieux encore, taxaient les commerçants aux péages et aux frontières. C’est ainsi que le calife de Bagdad fonda sa richesse sur la taxation du commerce caravanier entre Orient et Occident (cf Gabriel Martinez-Gros).
   Au XVIIe siècle, autour de la mer du Nord, des gouvernants comprirent qu’ils avaient plus à gagner en encourageant la création de richesses par leurs propres sujets. Les Néerlandais furent les premiers à agir en ce sens. Par des règlements très protectionnistes, ils assurèrent le succès de leurs marchands et de leurs armateurs dans les foires et sur les mers. Mais ils durent très vite compter avec la concurrence anglaise. Avec l’Acte de navigation de 1651, Cromwell entama une politique protectionniste qui ne prit fin que deux siècles plus tard, quand l’Angleterre eut acquis une suprématie incontestée sur l’économie mondiale
      Dans ces siècles reculés, tous les États, à commencer par les deux précités, eurent à cœur d’ériger des barrières douanières à leurs frontières pour protéger leurs producteurs nationaux contre une concurrence trop agressive et aussi éviter qu’un excès d’importations ne se solde par une diminution de la quantité de monnaie disponible dans le pays (Richesse des Nations, Adam Smith).
    Le libre-échange n’était jamais pratiqué que dans un objectif de domination, par exemple quand Napoléon Ier permit aux produits français d’inonder l’Europe continentale, protégée de la concurrence anglaise par le Blocus continental.
    Mais la Première Guerre mondiale entraîna un brutal appauvrissement des grands pays européens, du fait des destructions et des dettes. La France et la Grande-Bretagne n’eurent plus assez de réserves métalliques pour garantir le cours de leur monnaie. Elles furent obligées de revoir à la baisse la contrepartie en or de celle-ci
     C’est ainsi qu’en 1928, le président du Conseil Raymond Poincaré ramena de 322,58 à 65,5 milligrammes d’or la valeur officielle du franc Germinal, qui n’avait pas changé depuis sa création par le Premier Consul Bonaparte en 1803. De cette première dévaluation, il s’ensuivit un redressement rapide de l’économie française.
   Les droits de douane ne suffisant plus toujours à préserver l’équilibre monétaire entre importations et exportations, la France allait dès lors enchaîner les dévaluations pendant six décennies.   C’est ainsi qu’entre 1949 et 1999, le franc allait perdre les deux tiers de sa valeur par rapport au mark. Cette politique du franc « juste » allait être profitable à la France en préservant l’équilibre de la balance commerciale, autrement dit en protégeant les industriels contre leurs concurrents allemands et en dissuadant les citoyens de trop acheter de produits étrangers.
   Mais il est à noter qu’en 1971, le renoncement du président Nixon à soutenir le cours du dollar, initialement fixé à 35 dollars l’once d’or fin, avait complètement libéré les monnaies de l’« étalon-or ». Désormais, les monnaies allaient « flotter ». C’est-à-dire que leur cours allait s’ajuster au jour le jour essentiellement en fonction de la balance commerciale de chaque zone monétaire.
   Si l’Angleterre, par exemple, importe plus qu’elle n’exporte, ses fournisseurs se retrouvent avec un excédent de livres sterling dont ils n’ont que faire dans leur pays. Par l’intermédiaire des banques, ils vont se résigner à échanger ces livres sterling contre leur monnaie à un cours plus bas qu’au moment où ils les ont acquises. Ainsi se rétablit naturellement l’équilibre entre importations et exportations, les premières devenant plus chères et les secondes moins chères.
   Avec les « changes flottants », les dévaluations ne sont plus utiles, sauf quand une banque centrale d’un pays a trop longtemps tenté de soutenir le cours de sa monnaie pour des raisons politiques. Les droits de douane eux-mêmes ne sont plus utiles sauf pour protéger une industrie naissante ou au contraire une industrie vieillissante.
    Les monnaies fluctuent entre elles à notre insu. Ainsi, même si l’on ne parle plus de dévaluation ou de réévaluation, la monnaie de la France (l’euro) n’en finit pas de faire le yoyo avec les autres monnaies de la planète, dollar, yen, renminbi. Son cours par rapport au dollar fluctue parfois en quelques mois de plus de 10% (-24% entre janvier 1999 et mai 2000). Il vaut aujourd’hui 1,13 dollar au lieu de 1,59 en avril 2008… Tout cela afin de maintenir bon an mal an l’équilibre de la balance commerciale de la zone euro avec le reste du monde. Qui en parle ? Personne. Et c’est tant mieux.
  Si des esprits aussi affûtés que le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz (Comment l'euro menace l'avenir de l'Europe) ont pu émettre les plus grandes réserves sur la pertinence de la monnaie unique, c'est que celle-ci a supprimé les régulations naturelles à l'intérieur de la zone euro et de ce fait amplifié la guerre commerciale entre les nations qui la composent.
    Toutes les nations souveraines sont en conflit commercial les unes avec les autres et c’est bien normal ; aucune n’est prête à sacrifier le bien-être de ses habitants au profit de tels autres. Quand la guerre redouble de violence comme c’est le cas aujourd’hui entre les États-Unis et la Chine, les deux adversaires usent des mêmes armes : une monnaie et des outils réglementaires (normes, droits de douane etc.). Chacun peut ainsi simultanément se défendre et attaquer, de façon à arriver à un compromis admissible.
   À l’intérieur de la zone euro, rien de tel. Avec la suppression des monnaies nationales et des outils réglementaires, les différents États perdent les armes qui leur permettraient sinon d’attaquer du moins de se défendre face à une attaque agressive de tel ou tel de leurs partenaires.   Or, les nations étant ce qu’elles sont, elles n’ont pas les mêmes comportements en matière économique. Les Pays-Bas, depuis quatre siècles,  et l’Allemagne, depuis deux siècles, ont par exemple fait de l’exportation un impératif national. Tout le contraire de la France ou de l’Italie. Pour les Français qui ont des revenus élevés, acheter une BMW ou une Mercedes relève de la bienséance ; pour les Allemands, cela relève du devoir civique. De la même façon, la grande distribution a convaincu les Français à revenus modestes d’acheter à moindre prix des produits de provenance chinoise ou allemande. Tant pis s’il s’ensuit du chômage pour leurs enfants ou petits-enfants, du fait de l’absence de débouchés pour les entreprises nationales.
    Ces différences nationales et quasiment anthropologiques ne sont pas nouvelles. Mais avant 1999, elles étaient tempérées par la monnaie : la réévaluation régulière du mark limitait les possibilités d’exportation des Allemands tandis que la dévaluation  du franc et de la lire dissuadait les Français et les Italiens de trop consommer de produits étrangers.
   Avec la disparition du bouclier monétaire, les pays « cigales » perdent leurs défenses naturelles face aux pays « fourmis ». Leurs gouvernements tentent de freiner l’appauvrissement inéluctable et prévenir les révoltes (« Gilets jaunes ») en empruntant aux « fourmis »  leurs surplus monétaires et en le redistribuant sous forme d’embauches, d’aides sociales et de commandes d’entreprises. Mais cet endettement croissant       a des limites… Il s’ensuit ce qu’ont observé les économistes du CEP, une perte de substance des « cigales » au profit des « fourmis ».
   Ce dilemme a été entrevu en 2015 par Joseph Savès dans son analyse : L’Europe à l’épreuve de la monnaie unique. L’auteur en a conclu à l’urgence de convertir la monnaie unique en une monnaie « commune » , adossée à des monnaies nationales à usage proprement interne, ajustables les unes par rapport aux autres. Ainsi l’Union européenne serait-elle conforme à sa belle devise : « Unie dans la diversité"....
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Néolibéralisme en action

Publié le par Jean-Etienne ZEN

 Logique, paradoxes et dérives (Notes de lecture à lire et à discuter)

                      Le néolibéralisme, depuis sa fondation , a comme projet de soumettre l'Etat aux lois du marché, comme en exprimaient clairement les voeux Mme Thatcher ("la société n'existe pas", "Il n'y a pas d'alternative"), comme disait R. Reagan (l'Etat est le "problème"), F Mitterrand ("On a tout essayé"). Ils ouvrirent la voie qu'empruntèrent les institutions bruxelloises. La "gauche" a fini par se rallier. Les institutions étatiques, instrumentalisées, tendent à devenir elles-mêmes les facilitatrices de cette nouvelle logique, la voie royale de son accomplissement.                                                                                                         ___Le caractère funeste du modèle néolibéral, dont le Chili de Pinochet a été le précurseur à l’échelle internationale (chapitre 1), ne réside pas seulement dans les conséquences délétères des politiques qu’il justifie. Certes, la privatisation des services publics, la marchandisation de biens universels (santé, éducation, eau), l’imposition des retraites par capitalisation ou encore la dérégulation du marché du travail sont préjudiciables par définition, dans la mesure où elles privent les citoyens de leurs droits les plus fondamentaux, brisent toute idée de solidarité et plongent la société dans son ensemble, et en particulier les classes les plus précaires, dans l’incertitude du futur. Mais, plus fondamentalement, si « le néolibéralisme nous tue », c’est parce qu’il a été pensé à cette fin, ou plus exactement, parce qu’il procède d’une volonté consubstantielle à sa nature : dominer par la guerre civile.                     ____Défendant une thèse radicale, cet essai est le fruit d’un travail collectif entrepris par le Groupe d’études sur le néolibéralisme et les alternatives (GENA), créé à l’automne 2018. Son ambition est d’appréhender, dans une perspective transdisciplinaire, cette nouvelle conjoncture internationale marquée par la victoire électorale de candidats à la fois pro-marché et réactionnaires d’une part, et par la diffusion à grande échelle de modalités de gouvernance autoritaires et répressives d’autre part. L’ouvrage cherche à mettre en cohérence les pratiques coercitives du pouvoir avec une idéologie néolibérale qui a pour substrat le plus essentiel une conception belligérante et mortifère du monde. Pour les auteurs qui emploient le terme de « stratégie » – qui plus est au pluriel (introduction), il s’agirait bel et bien d’une volonté des pouvoirs publics que de mener, depuis une quarantaine d’années et partout sur la planète, une guerre antidémocratique et antisociale en vue de faire advenir la société pure de marché.                On doit au philosophe anglais Thomas Hobbes la théorie contractualiste selon laquelle les hommes auraient choisi de mettre fin à la guerre de tous contre tous, en acceptant de céder une part de leur liberté à l’État, en échange de sa protection. La puissance publique aurait ainsi émergé du consentement à l’autorité, ainsi que l’illustre le célèbre frontispice du Léviathan (1651) où les sujets se mettent sous la coupe du Prince, et mieux encore, s’agrègent dans la tunique du pouvoir. Selon cette vision absolutiste il revient à l’État en tant que puissance régalienne d’assurer l’ordre institutionnel et de garantir la paix civile.    Pour ainsi dire, l’idéologie néolibérale retourne contre elle-même la vulgate hobbesienne, en faisant du Léviathan le suprême belligérant d’une nouvelle guerre de tous contre tous, où prévalent désormais l’individualisme exacerbé, la mise en concurrence généralisée et la prédation contre toutes les ressources, qu’elles soient humaines (uberisation, auto-entreprenariat, destruction du salariat), socio-économiques (privatisation des bénéfices, mais socialisation des pertes), juridiques (contournement des législations et évasions fiscales) ou naturelles (surexploitation). Sous l’auspice de ce néo-Léviathan, s’est ainsi organisée à l’échelle internationale, à partir de la fin des années 1970, la « contre-révolution néolibérale » (p. 27).    

 

 

         En ce sens, malgré la conviction commune qu’on lui attache souvent, l’idéologie néolibérale fait moins l’apologie du libre marché qu’elle ne consacre la figure de l’État fort (chapitre 3). Dans le sillage de l’ouvrage traduit et présenté par Grégoire Chamayou, Pierre Dardot et ses collègues font notamment de Carl Schmitt l’un des parrains du libéralisme autoritaire et rendent compte de la dette intellectuelle qu’Hayek, Röpke ou encore Mises lui doivent. Pour ces derniers en somme, « l’objectif général d’un État fort est avant tout d’empêcher que la politique n’affecte le fonctionnement du libre marché » (p. 73). Le néolibéralisme est donc « nécessairement autoritaire en ce qu’il s’attaque précisément à toute volonté démocratique de réguler l’économie » (p. 74). Autrement dit, « l’État néolibéral est un État positivement interventionniste » (p. 290). D’où dérivent la domestication des syndicats, la criminalisation de la protestation sociale ou encore l’incarcération de masse comme modalité de substitution à l’État-providence. En somme, il s’agit de gouverner contre les populations (chapitre 10) ; ce qui passe par une « ennemisation des opposants et des perturbateurs » (p. 232) et s’illustre, par exemple, dans la militarisation des unités de police en Europe, voire la « milicianisation » des forces armées (p.241), comme au Brésil. Pour les auteurs, ces dérives coercitives contemporaines trouvent leurs lointaines justifications dans les travaux des néolibéraux : à l’instar de Ludwig Von Mises, la plupart d’entre eux ont en effet poussé à son paroxysme la conception wébérienne du monopole de la violence physique légitime, en la convertissant en une forme de « brutalisme », au sens « d’une violence consciemment utilisée par l’État pour défendre l’ordre de marché contre les demandes démocratiques de la société » (p. 96).                D’après les auteurs, le néolibéralisme se caractérise par sa « démophobie » (chapitre 2). C’est-à-dire par sa peur viscérale des masses, dont Gustave le Bon et plus encore José Ortega y Gasset ont été les premiers à agiter le spectre. Pour conjurer la crainte que leur inspirent les logiques démocratiques (incertitudes des suffrages, alternances politiques, renouvellement des élus), les néolibéraux et en particulier Friedrich Hayek ont théorisé la nécessaire sanctuarisation d’un certain nombre d’enjeux politiques ou macroéconomiques, dont la gestion ne sera confiée qu’aux seuls experts. Revenant sur des considérations déjà étayées dans un précédent essai, Pierre Dardot et ses collègues développent la question du constitutionnalisme de marché (chapitre 4), notamment au fondement de l’Union européenne. Dans cet ouvrage, ils vont cependant plus loin en démontrant comment l’État de droit a mis le droit (et en particulier le droit privé) au service du projet d’asservissement des peuples au modèle ultra-libéral (chapitre 11).    Du reste, le concept de liberté que les penseurs néolibéraux véhiculent se limite, en réalité, à la sphère économique. C’est-à-dire à la liberté d’entreprendre et, plus généralement, à ce large éventail de libertés économiques qu’offre la dérégulation qu’ils promeuvent et qui conduit, en matière juridique, au moins-disant salarial, fiscal et environnemental. En aucune manière, il s’agit d’une liberté de type politique ou social. Non seulement, comme Hayek l’a montré à l’égard du Chili pinochétiste, les néolibéraux s’accommodent très bien de régimes militaires qui violent impudemment les droits de l’homme, mais il n’est nullement question de défendre les droits individuels à l’auto-affirmation (féminisme, LGBT, etc.). Sur le plan des mœurs et ainsi que le prouve notamment « l’hyperconservatisme sociologique » de Wilhelm Röpke (p. 148-154), les néolibéraux s’avèrent des réactionnaires forcenés, convaincus de la supériorité de la civilisation occidentale, blanche et patriarcale (chapitre 6). Mieux, ils défendent la guerre des valeurs et la division du peuple (chapitre 8).                                                                   Pour les auteurs, le néolibéralisme produit ainsi tout à la fois le poison (l’insécurité économique, les inégalités sociales), mais aussi « son antidote imaginaire » (p. 210) autour de projets démagogiques, faussement intégrateurs et résolument anti-immigrés. De ce point de vue, le « nationalisme concurrentialiste » (p. 183) d’un Trump ou d’un Bolsonaro n’est que le dernier avatar d’une idéologie qui porte en germe une conception profondément violente de la politique, du droit et de l’économie.     Quand bien même ses thuriféraires répétaient à l’envi depuis les années 1980 qu’il « n’y a pas d’alternative » (There is no alternativeTINA), le néolibéralisme n’est pas une fatalité. Les auteurs en veulent pour preuve « le Réveil du Chili ». De fait, lors des élections constituantes de mai 2021, les citoyens chiliens ont désigné, à travers leurs suffrages, plus de la moitié de candidats indépendants ou issus de la société civile sur les 155 membres de la future assemblée conventionnelle – privant de fait la coalition de droite de sa minorité de blocage. Il s’agit désormais de poser les bases constitutionnelles d’un nouveau régime politique, social et économique, qui soit plus horizontal et inclusif dans son fonctionnement, plus progressiste dans ses valeurs et surtout beaucoup plus solidaire dans ses finalités. « L’exemple du Chili le montre, écrivent-ils : seules des révolutions populaires, seules des révolutions menées et contrôlées par les citoyens peuvent s’opposer aux stratégies de guerre civile du néolibéralisme » (p. 313).                              ___Dans la conclusion, les auteurs se prononcent ainsi pour l’auto-gouvernement démocratique.    La force de cet essai est aussi ce qui en fait la limite. Car, si la maîtrise de la littérature théorique est indiscutable, l’administration de la preuve peut être prise en défaut. On peut ainsi leur reprocher de procéder par analogie, à défaut de pouvoir démontrer, à quelques exceptions près, que les dirigeants contemporains ont lu dans le texte les doctrinaires néolibéraux dont ils s’inspireraient. Ceci étant, les auteurs n’en ont pas moins le mérite de décrire avec beaucoup de rigueur un univers mental composite, qui encadre fortement l’horizon des possibles en matière macro-économique et justifie l’usage de tout l’arsenal régalien (justice, police, armées) contre les opposants à cet ordre établi.    Au demeurant, on pourra surtout regretter le tréfonds anarcho-marxisant qui irrigue leur philosophie et leur fait écrire :   L’expérience doit nous immuniser contre toute stratégie suicidaire de retournement contre l’adversaire de ses propres armes. L’État est tout sauf une « arme » à la disposition des dominés. Seule une politique radicalement non étatique, entendue comme politique du commun, peut nous faire échapper à l’empire du marché et à la domination de l’État (p. 311).    Or, de notre point de vue, l’État est moins l’expression que l’instrument du pouvoir. La nuance est de taille. Elle signifie que l’État répond toujours à la finalité qu’on lui assigne. Si l’objectif ontologique de l’idéologie néolibérale est la guerre, l’État peut certes la mener pour elle ou s’en faire, matériellement, le bras armé (répression policière). Mais il peut très bien aussi conduire une autre guerre, contre les inégalités ou les paradis fiscaux par exemple et, par voie de fait, remplir un autre rôle : celui de garant de l’intégration et de la justice sociales ou de corsaire contre les multinationales qui pillent les richesses nationales et piratent, en les contournant, les législations fiscales.                    _____ À bien des égards, la grande victoire des néolibéraux est d’avoir précisément décrédibilisé les institutions publiques, dans les faits (sous-financement chronique) et dans les consciences, d’après le principe selon lequel le marché serait nécessairement meilleur. Or, au nom de tous ces agents (contractuels, fonctionnaires ou élus) qui cultivent un vrai sens du service public – et il y en a, quoi qu’en disent leurs contempteurs qui trop facilement les accusent de corruption ou de gabegie –, on doit aujourd’hui à l’État, en particulier dans les pays anglo-saxons et du Sud, une réhabilitation culturelle (depuis la société) et financière (par l’impôt), afin de lui donner les moyens de ses futures ambitions. Car, la révolution « contre-néolibérale » se fera certes par les citoyens, mais pas sans les institutions publiques...." (Damien Larrouqué)  ____________

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