Dites "gouvernance".
Une notion résolument "moderne"?
Il fut un temps, pas si lointain, où dans le domaine politique, il était d'usage courant d'utiliser le mot "gouvernement" pour désigner, non seulement l'équipe élue au pouvoir dans notre tradition républicaine, mais aussi la fonction consistant pour elle à gérer les affaires essentielles de l'Etat, surtout dans ses fonctions régaliennes, suivant une ligne déterminée, contestée ou pas, des choix supposés connus et approuvés par une démarche élective périodique et constitutionnelle.
Mais aujourd'hui, vous n'y êtes plus. On a évacué peu à peu ce mot supposé vieilli et considéré comme trop "politique". Il faut parler de "gouvernance" pour être moderne et supposé neutre.
Simple mutation sémantique? Non, vous n'y êtes pas encore.
Dans les cabinets ministériels, dans les discours officiels, on s'est mis à adopter le vocabulaire propre au monde des affaires, notamment celui des entreprises, qui demandent un bonne gouvernance pour être performantes, une saine gestion comptable, notamment.
On pourrait croire ce glissement de sens innocent. Que nenni! Il est le révélateur d'une mutation dans l'art de gérer les choses de l'Etat, ou plutôt dans son idéologie, qui veut se rapprocher de la supposée rigueur en usage dans le monde des affaires.
Une osmose qui a bien fonctionné: le chef de l'Etat se voit de plus en plus comme un gestionnaire moderne, dont l'efficacité est devenu le seul critère. Du moins en parole, du moins c'est ce que l'on veut nous faire croire. La fonction politique ne peut, on le sait, se ramener à la pure gestion de données chiffrées, à une pure conduite technocratique même si certains discours présentent tel chef d'Etat ou tel ministre comme un gestionnaire suprême.
La langue technocratique, légitime à un certain niveau, a envahi le domaine où les choix qualitatifs, les orientations politiques au sens noble, le sens du bien commun, doivent demeurer la priorité. Une vision de l'avenir doit guider les choix du présent. Il suffit de relire Aristote pour retrouver ces perspectives que l'on oublie trop souvent. Mais aussi Montesquieu, Jaurès, Mendès-France, De Gaulle...
Depuis Giscard d'Estaing, l'Etat se veut "moderne". Aujourd'hui, tout se passe comme si le chef d'équipe qui dirige la start up France, le premier de cordée, se voulait un super-technicien, à la tête d'une équipe d' experts. L'apparence de la rationalité a pris la place du débat permanent et de l'affrontement nécessaires des points de vue. Les parlementaires sont priés d'entériner.
Mais il faut souvent se méfier des mots, propres à leurrer les esprits, malgré leur aspect apparemment anodin.
______Un mot qui traîne encore dans le vocabulaire de nos politiques du jour., même et plus encore à Bruxelles, au niveau européen.
Le moins que l'on puisse dire est que la notion de gouvernance, portée aux fonds baptismaux par Margaret Thatcher, est révélatrice d'une certaine soumission de la politique à l'économique, d'un effacement du rôle de l'Etat, inspiré par la parole libérale de Hayek et de ses épigones.
Mais, évacuez, même discrètement, la politique par la porte, elle reviendra par la fenêtre.
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