Droit du travail: où va-t-on?
Que le code du travail soit à simplifier, à clarifier, à rénover, à adapter, c'est sans doute nécessaire.
Du moins sur certains points. Il est dans la nature du droit de s'adapter au cours du temps, qui changent les situations.
Mais que, dans la hâte et la fébrilité médiatique, sous prétexte de "modernisation", de flexibilité, ce soit l'occasion de donner un coup de balai sur des principes qui ont fait leur preuve au cours de l'histoire contre les risque toujours présents d'arbitraire patronal, voilà un risque majeur, surtout à l'heure où la dérégulation tend à s'imposer partout, au nom d'une liberté d'entreprendre aux présupposés souvent discutables.
On connaît toute l'importance du droit du travail dans l'histoire du mouvement ouvrier depuis le 19° siècle.
A l'heure où la précarité sous toutes ses formes connaît une avancée inédite.
Au moment où les normes (ou l'absence de normes) de type libéral tendent à gagner de nombreux pays voisins ou de nouveaux secteurs d'activité, il importe d'être vigilant.
Faudrait-il imiter l'Allemagne et ses lois Hartz, impulsées par Schröder, mais demandées par le patronat libéral pour réglementer le chômage?
Faudrait-il suivre la pente anglaise de libéralisation depuis l'ère thatcherienne, débouchant aujourd'hui sur l'invention cameronienne du "contrat zéro heure"?...
Le traité de libres échange transatlantique risque de nous entraîner vers de plus graves menaces pour le droit du travail et l'action syndicale.
On a tout lieu de craindre que sous des dehors novateurs et progressistes se cachent des tentatives pour gommer de plus en plus de règles considérées comme désuètes. Vouloir passer du droit au contrat n'estpas anodin, même si c'est au nom d'une prétendue défense des intérêts des travailleurs...surtout dans les unités productives de faible dimension.
La réforme en cours, qui jusqu'ici s'est déroulée de manière brouillonne (loi Macron), où la question du travail du dimanche côtoie d'autres mesures sans rapport, ouvre déjà une boîte de Pandore. On veut aller vite sous prétexte de modernisation et de productivité.
Certes, le débat est encore ouvert et il y a pas accord total sur tous les points, mais il est à craindre que de glissements en ambigüités, on ne détricote le code pour le rendre plus light et attractif, pour le plus grand plaisir de Mr Gattaz...A force de pencher..
Entre le rapport Terra Nova et les propositions lourdes de dérives de l'institut Montaigne, c'est la valse hésitation, malgré les points communs. (*)
...Malgré ces parcours différents, les lois Macron et Rebsamen ont bien des points communs. Elles traitent toutes les deux principalement du travail et de l’emploi, parmi une kyrielle d’articles qui relèvent davantage de la liste d’épicerie que d’une véritable orientation politique. Ainsi la loi Macron place, dans le même texte, le fait d’élargir considérablement le travail dominical et la manière dont une copropriété décide de raccorder son immeuble à la fibre optique…
Ce faisant, le gouvernement a considérablement dévoyé l’exercice législatif, mais surtout noyé les acteurs. À ce jeu-là, c’est souvent les moins armés qui perdent, comme l’illustrent la faible ou trop tardive mobilisation des salariés et l’offensive payante des professions réglementées.
Ces lois fourre-tout, comment seront-elles appliquées ?..
......Un dernier article inquiète beaucoup l’aile gauche du Parlement : le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance (c’est-à-dire sans passer par une autre loi) une série de mesures pour notamment « abroger les dispositions devenues sans objet et assurer la cohérence rédactionnelle dans le code du travail et entre le code du travail et les autres codes ». Cet article, introduit dans un contexte lancinant de remise en cause du code du travail – ce livre « obèse et indigeste », selon Robert Badinter –, félicité par p. Gattaz, laisse augurer encore de nombreux changements d’ici la fin de l’année...
____________
(*) ..Mis en orbite en juin avec la sortie du livre de Robert Badinter et d’Antoine Lyon-Caen, Le Travail et la loi, la réforme du code du travail s’impose comme le sujet politique de cette rentrée. À La Rochelle, lors de l’université d’été du PS, le premier ministre Manuel Valls a martelé sa volonté de bousculer le code, quitte à essuyer quelques sifflets des militants les plus frondeurs. La publication en cascade de rapports cette semaine, prélude à une loi probablement pour le premier semestre 2016, conforte cette direction.
C’est l’Institut Montaigne, think tank classé à droite, qui a dégainé le premier, avec plusieurs propositions chocs censées simplifier considérablement le code du travail et fluidifier le marché de l’emploi. Moins sulfureux sur la forme, mais vraisemblablement lu avec davantage d'attention par l'exécutif, le rapport commis par le juriste Jacques Barthélémy et l'économiste Gilbert Cette pour la fondation Terra Nova va grosso modo dans le même sens.
Sur le constat de départ, d’abord : c’est le code du travail qui bride le « dynamisme économique » et explique le taux de chômage massif en France, tout élément de conjoncture mis à part. Tous ceux qui « persistent à attribuer le chômage massif à une insuffisance de la demande et recommandent en conséquence une augmentation de la dépense publique » sont des simplistes, qui « nient les aspects factuels ». Autre gros défaut du code à la française, il ne serait pas suffisamment protecteur pour le salarié, et même bien trop complexe pour ceux censés les défendre. « Je défie quiconque, universitaire, syndicaliste ou inspecteur du travail, de me dire qu’il connaît ne serait-ce qu’un quart du code du travail », a lancé Jacques Barthélémy, taclant au passage le pétulant Gérard Filoche, l’un de ses adversaires les plus farouches. Il faut donc « changer de modèle », et tant pis si les syndicalistes eux-mêmes sont globalement unanimes pour dire que la réforme du code du travail est loin de constituer une priorité.
Tout revoir, donc, et en premier lieu la primauté de la loi sur le contrat.
La France a effectivement pour tradition d’accorder à la règle nationale (le code du travail) un statut prépondérant sur les accords signés aux niveaux de la branche professionnelle, voire de l’entreprise. Les rapports Terra Nova comme Montaigne sont sur ce point unanimes. Ils veulent que les accords d’entreprise ou de branches constituent désormais les échelons prioritaires. L’Institut Montaigne va très loin en demandant une diminution drastique du nombre de branches et en s’appuyant quasi essentiellement sur la négociation au niveau de l’entreprise. Les experts mandatés par Terra Nova se veulent plus rassurants : il n’est pas question de faire table rase du passé, et de créer un vide juridique où tout serait à reconstruire. « Là où il n’y aura pas d’accord collectif, le droit général s’appliquera », rappelle Gilbert Cette. Mais dans leur ouvrage, la bascule est décrite noir sur blanc. « La logique proposée, dans un premier temps, est de faire de la dérogation conventionnelle la règle. Et dans un second temps, le droit réglementaire deviendrait supplétif du droit conventionnel.... »
____________________