Service public de santé en danger
Deux mots sur l'origine des mutations et des dégradations du système [notes de lecture]
Depuis au moins 2005, le mal s'approfondit dans les système de soin de notre pays, pour arriver aujourd'hui dans cet état de crise majeure, reconnu par tous, même verbalement une fois à l'Elysée, la crise de la covid ayant servi de révélateur. qui ne prend pas pourtant les mesures qui s'imposent pour éviter un glissement plus sérieux encore. La fuite de certains personnels hospitaliers est un révélateur inquiétant de dysfonctionnements que certains soignants voyaient venir depuis longtemps. Le "grand corps malade" l'est surtout du fait de ses mutations purement gestionnaires, de son lean management accentué, de ses choix technocratiques, de la perte progressive de sens qui affecte de plus en plus les rapports médicaux et hospitaliers. L'exemple suédois est en cours...
Point de vue: changer de paradigme: ".Le système de santé français a longtemps fait office d’exemple à l’international, au début des années 2000 il était même considéré comme le meilleur au monde. A la suite d’une destruction incrémentale du fondement même de notre système de santé, quel que soit les majorités gouvernementales, celui-ci est dorénavant à l’agonie. Les déserts médicaux progressent et l’hôpital public est au bord de l’implosion du fait de la diminution du nombre de lits, l’introduction en force du Nouveau management public et la dégradation des conditions de travail entraînant le départ en masse de personnels soignants épuisés et écœurés. Nous considérons que le point d’entrée dans le système de santé pour l’immense majorité de la population est l’hôpital public par le biais des urgences et ce que nous nommerons les professionnels de santé de premier recours (PSPR), par définition conventionnés en secteur 1. Ces derniers sont représentés par les médecins généralistes principalement mais il existe également d’autres « portes d’entrée » subtiles et souvent méconnues. C’est le cas notamment des pharmacies d’officine et, dans une moindre mesure, des infirmier(e)s et kinésithérapeutes libéraux. Pour les jeunes enfants, la Protection Maternelle et Infantile (PMI) lorsqu’elle existe encore sur le territoire peut également avoir ce rôle. Les chirurgiens-dentistes et les sage-femmes font également partie des PSPR. Mais d’une façon générale et majoritaire, lorsqu’un patient a un problème de santé (en dehors des grosses urgences) il va se rendre chez son médecin généraliste ou chez son pharmacien. C’est uniquement si ces deux voies sont fermées qu’il se rendra aux urgences directement. La pénurie médicale et la fermeture progressive des pharmacies d’officine, notamment en milieu rural, entraînent donc une suppression pure et simple de l’accès au système de santé, en particulier pour les classes populaires. Les services d’urgence, en grande souffrance, ne peuvent compenser la pénurie médicale de généralistes sur le territoire. La situation est complexe et assez catastrophique par bien des aspects, en particulier parce qu’elle relève de décisions gouvernementales qui, pour des raisons budgétaires mais pas uniquement, ont choisi délibérément de mettre en danger sanitaire la population française dans son ensemble. Cependant, les effets sont encore plus dramatiques pour les plus démunis, témoignant ainsi d’une politique de classe très violente : nous parlons ici de ceux qui ont la possibilité de se soigner ou pas. Nous allons revenir brièvement sur l’histoire de l’organisation puis de la désorganisation des médecins généralistes et de l’hôpital public, ensuite nous évalueront la situation actuelle (peu brillante) en termes d’effectifs soignants. Nous proposerons pour terminer une analyse politique et nos propositions pour changer de paradigme....Le maillage de la médecine générale et son organisation correspondent à notre sens à une forme de service public, mais implicite. En effet, jusqu’à une période récente l’accès aux soins était équivalent sur tout le territoire, les gardes étaient assurées, ce qui fait que tout français pouvait obtenir une consultation ou une visite 24/24h et 7/7j. La seule différence, surmontable selon nous, avec un service public « classique » relève du paiement à l’acte et donc de l’avance de frais. Mais, étant donné que les actes sont remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles, nous pouvons considérer que les médecins généralistes et par extension tous les PSPR (pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, sage-femmes) forment, sans en avoir conscience, un vaste service public de premier recours mais celui-ci est imparfait et implicite. A partir des années 60, les lois hospitalières ont consacré l’apparition du praticien hospitalier et de l’hôpital public, deuxième pilier de l’accès aux soins. Ce dernier est un service public explicite, avec la gratuité complète pour les patients. Cela marquait un tournant dans la reprise en main par la puissance publique du système de santé, non sans résistance des syndicats de médecins libéraux. Ceux-ci finiront par accepter le conventionnement avec la Sécurité sociale en 1980, mais en gardant un pouvoir de négociation très important, toujours en vigueur aujourd’hui. La création des praticiens hospitaliers représentait une première entaille au pouvoir médical historique, ce qui explique la traditionnelle opposition entre les hospitaliers et les « libéraux» . Il est clair qu’en 2022, cette opposition n’a plus aucun sens en particulier pour les PSPR. Pour résumer, gardons à l’esprit que le système de santé français (en particulier les PSPR qui nous intéressent tout particulièrement ici) reposait donc sur deux piliers : un réseau de médecins disséminé faisant office de service public (qui deviendront les médecins généralistes avec l’apparition des spécialités médicales) et le système hospitalier public fraîchement élaboré à partir des années 60. Il est donc tout à fait remarquable de constater que les pouvoirs publics aient méthodiquement attaqué les deux piliers de notre système de santé, sans prévoir aucune alternative pour la population malgré les conséquences désastreuses que l’on pouvait anticiper sans grande difficulté. Et cela, avec une régularité et un acharnement tout à fait spectaculaire alors que de nombreuses institutions, sans grand caractère révolutionnaire particulier, n’ont cessé d’alerter les pouvoirs publics dès le début des années 20002 ! Concernant la médecine libérale, l’objectif officiel avancé par les décideurs publics était la maîtrise des dépenses de santé dès le début des années 70, dans un contexte où il était considéré qu’il y avait trop de médecins en France. Selon la politique de l’offre, celle-ci crée sa propre demande. Ce qui sous-entendait qu’une partie des soins (laquelle précisément ?) prise en charge par la collectivité était inutile, puisque simplement « produite » par l’offre médicale trop importante. Dans cette logique simpliste pour ne pas pas dire absurde (comment prouver l’inutilité d’une consultation ou d’un soin ?), il suffisait alors de diminuer l’offre pour que la demande s’ajuste miraculeusement sans dépense superflue. Cette logique allait aboutir à la création du numerus clausus en 1971, qui correspond au nombre d’étudiants autorisés à s’inscrire en deuxième année de faculté de médecine selon leur classement au concours de première année, auquel viendront s’ajouter d’autres dispositifs à partir de 2010 (passerelles avec d’autres filières, droit au remords). Ce nombre est fixé par le gouvernement permettant la régulation précise du nombre de médecins formés chaque année. Ainsi il devenait possible de diminuer l’offre libérale et, par ricochet, celle des médecins hospitaliers. La longueur des études médicales entraîne un effet d’inertie important de ce dispositif. Les effets sur le terrain se faisant sentir à la hausse comme à la baisse sur une échelle de 10 ans en moyenne. C’est à dire que la situation actuelle résulte de décisions non prises à la fin des années 2000. Les syndicats de médecins libéraux ont ici une co-responsabilité dramatique avec les gouvernements des années 2000-2010. En effet, si les représentants des médecins se souciaient peu du niveau des dépenses de santé, il se souciaient beaucoup plus des revenus des médecins libéraux. Or, ces derniers étant rémunérés à l’acte, un trop grand nombre de médecins entraîneraient automatiquement moins d’actes par médecin donc une baisse de leurs revenus. C’est ainsi qu’est né l’argument de la « pléthore de médecins » repris en boucle au moment des débats sur la création du numerus clausus, et l’appui des syndicats de médecins à cette réforme..".